Libr-critique a le plaisir de contribuer à vous faire découvrir ce jeune poète de 28 ans qui participera en octobre sur Lille au festival "Littérature, génération y, etc." : ce texte mérite qu’on l’écoute en le lisant (vidéo prise à Dunkerque en ce début juillet 2015, et mise en ligne par Laura Vazquez).
Il ne rêve pas. Jamais. Il n’a jamais de rêve. Ou bien, s’il en a : il ne s’en souvient pas. Voilà c’est ça : il ne s’en souvient pas. Sauf que. Quand il dort dans une baignoire. Quand il dort dans une baignoire : là oui, là : il rêve. Il s’en souvient. Mais pas beaucoup quand même, mais quand même un peu.
Mais il n’a pas de baignoire chez lui.
Il n’a pas de baignoire chez lui, et ça c’est un problème. Un vrai problème. Il veut rêver, Aède, il veut rêver, il aimerait bien, et même, de rêver : il en rêve éveillé.
éveillé parce qu’il ne sait pas faire
sait pas faire
il ne peut pas
faire autrement
il ne sait pas le faire
autrement
autrement qu’éveillé, rêver. Or, or,
autrement qu’éveillé : c’est mort.
Aède il veut rêver, il aimerait bien, et même, même. Mais sans la baignoire pour Aède rêver c’est mort en fait. C’est mort en fait, et du coup, comme il n’a pas de baignoire chez lui : eh bah il va chez les autres. Quand ils font une fête par exemple. Surtout quand ils la font, en fait, parce que sinon c’est pas évident de demander comme ça, Je peux dormir dans ta baignoire ? je peux ? allez, steuplé. Demander ça si c’est pas la fête c’est pas évident du tout.
Une fois il y avait un ami qui avait une baignoire qui avait fait la fête dans son appartement pendant toute une semaine, il y avait des copains qui venaient, certains passaient seulement mais d’autres restaient plusieurs jours d’affilée, d’autres un seul jour et puis ils partaient, mais après des fois ils revenaient pour certains d’entre eux, et puis d’autres, d’autres qui étaient restés plus d’un jour et même qui les enfilaient les jours et les nuits pour certains d’entre eux, eh bien ceux-là s’en allaient à leur tour. Mais il arrivait qu’ils reviennent aussi.
Il y avait du nouveau tous les jours, même s’ils se ressemblaient.
Les soirs pareil. La même,
la nuit.
Il s’était arrangé pour avoir la baignoire pour lui, Aède, durant toute la, purée, non : pendant. Pendant toute la durée des festivités. Voilà : il s’était arrangé. Toute une semaine, il avait bien rêvé. Mais le 7e jour, l’ami voulut se baigner à l’aube et il le chassa.
Une autre fois il était rentré chez sa mère, Aède, c’était à la campagne, elle avait une maison avec une salle de bain, mais il avait dû se tromper, ou alors elle avait fait des travaux entre temps, sa mère, elle avait dû refaire la salle de bain, parce qu’à la place de la baignoire maintenant il y avait une douche.
Ou alors il s’était trompé de maison. Ou de mère. C’est difficile à dire.
Il alla faire un tour au village, pour voir. C’était jour de marché, il acheta une pomme. Qu’il croqua sur place. Et des sels de bain, qu’il mit dans son sac.
Qu’il avala tout rond.
5 secondes de rêve tout au plus. Et flottant avec ça.
Après il vadrouilla un peu, par le village. Il n’y avait pas grand monde.
Aucun bain de foule il était possible.
Il tomba sur la salle des fêtes, il alla voir. Devant il y avait bien quelques jeunes qui fumaient des clopes, mais pas de fête. D’aucune nature.
Même pas une bière.
Pas une once de musique du diable.
De retour sur la place du marché, le soir tombait déjà, les étals avaient été remballés, bientôt la nuit lui baignait le visage, à Aède.
Alors il avait descendu la colline sur laquelle était la maison et il était allé dormir sous le pont surplombant la rivière, dans son lit. Mais l’eau de la rivière n’était pas stable, elle coulait.
Impossible de s’y accouder.
Quand il fut réveillé au matin, par la pluie. Il n’avait pas rêvé : c’était bien sa rivière, sa colline, sa maison et sa mère. Mais il n’y avait plus de baignoire dedans. À la place il y avait une douche.
Il en prit une au matin et il partit pour chez sa mamie.
On avait rasé sa maison et elle était morte.
Il souleva le paillasson, pour voir. Jusqu’aux volets : tirés. Il était retourné chez sa mère entre temps. Il n’y avait rien à voir. Elle avait fermé la maison, et elle s’était cassée.
Alors il suça quelques sels de bain, ses derniers. Devant la porte. Qu’il avait gardés dans ses poches de jean.
Une ville thermale. Mais elle a des mycoses.
Un rêve de 5 secondes.
Aucun bain public n’y était possible.
Ce n’était pas terrible. Alors, il repartit.
Enfin quelquefois il arrivait bien à dormir dans des baignoires quand même.
Il avait fait une fête chez une fille, un soir. Elle avait une baignoire. Et elle était jolie.
Il s’était dit, Putain, c’est la femme de ma vie, Aède.
Elle avait une baignoire.
Mais à force de niquer et niquer à chaque fois qu’ils se voyaient, et pourtant ils avaient bien niqué dans la baignoire aussi, mais il allait pas lui dire après, Eh, meuf, ça t’embête pas si je reste dans la baignoire pour dormir ?, il pouvait pas dire ça, c’est louche, et il pouvait pas risquer de perdre la baignoire pour si peu. Et puis la fille elle était jolie. Tout en marbre, avec des robinets.
De temps en temps il allait bien prendre une douche, mais elle le laissait jamais tranquille bien longtemps.
Des siestes de 5 minutes maximum.
Aucun rêve sérieux il était possible.
Même au milieu de la nuit, quand elle dormait et qu’il tentait de s’extirper discrètement du lit pour atteindre la baignoire, comme il fallait enjamber la cuisinière dans le noir il faisait toujours chuter quelque chose, et elle se réveillait, Euh, tu fais quoi ? Euh, et il fallait niquer.
Alors un jour qu’ils niquaient dans la baignoire il lui fourra le pommeau de douche dans la bouche et il la noya. Sans faire de vagues, quelques bulles tout au plus.
Mais elle était jolie.
Avant d’être morte.
Avant d’être morte elle était jolie.
Avant d’être morte. Comme sa mamie. Partie.
Comme sa maman.
Très jolie.
Alors, il était triste.
Il eut beau fourrer le corps de la fille morte sous le lit et tenter de rêver un peu sérieusement, dans la baignoire il ne fit que des pires cauchemars, Euh, tu fais quoi ? Euh, et il fallut partir.