Dominique Quélen, Énoncés types, Théâtre typographique, Courbevoie, 2014, 120 pages, 18 €, ISBN : 978-2-909657-47-9.
Enoncés-types de Dominique Quélen propose, sous un aspect programmatique, un dispositif d’écriture mettant en place un agencement de propositions relevant le plus souvent de l’abstraction et de l’étrangeté jusqu’à l’absurde, fonctionnant remarquablement dans leurs combinaisons, par récurrences et motifs.
Enoncés-types repose, dans ses contraintes d’écriture, sur deux sections intitulées Dizains et Douzains, chacune d’elle proposant deux blocs de prose espacés retenus dans la partie supérieure et inférieure de l’espace de la page.
Le fonctionnement, dans l’agencement des énoncés, s’établit par réitérations à intervalles plus ou moins rapprochés, à l’intérieur d’un même paragraphe, souvent d’une phrase à la suivante ou dans des écarts plus importants, pouvant aller d’une section à l’autre. Ainsi l’énonciation d’un « creux à l’intérieur et au fond. Une serrure plate » dans le paragraphe ouvrant le livre, repris modifié en « creux qui est presque plat », dans un troisième paragraphe, et en fin de section, devenant « Il y a un creux presque plat à la surface. »
L’avancement dans le texte se produit dans des récurrences avec les modifications qui les affectent et qui peuvent être ajouts, développements (« Actes » précisés ainsi plus loin dans le texte « Actes de parler »).
Les modifications s’opèrent également en reprenant et en attribuant, selon les paragraphes, différents caractères à un même référent (« le vélo en marbre » dans une deuxième section devenant « ton vélo en métal »). Faisant motif, de multiples variantes d’un « trajet entre a et b » sont développées. On notera les motifs prégnants du corps démis de son unité (par parties : main, épaule, bras et jambes, œil unique), du loup, et celui de l’écriture dans son travail de la langue (« il faut aimer l’idée de la matière dans la poésie »).
Dans l’avancement, les propositions, dans leurs reprises, peuvent faire l’objet d’une condensation, le réagencement et le déplacement produisant alors d’autres significations dans la contraction, les éléments de deux propositions distinctes associés renouvelant les propositions elles-mêmes dans le champ sémantique (selon le même exemple, « creux à l’intérieur et au fond. Une serrure plate (texte 1) devenant par contraction et soustraction « creux qui est presque plat » dans le texte 3). Des éléments lexicaux peuvent être également prélevés dans une proposition principale et leurs segments réajustés, coordonnés différemment, induisant alors une réitération accompagnée d’un glissement et d’une recombinaison de mots. Le procédé peut enfin relever d’un développement dans un champ lexical donné (ainsi « serrure », « clé » etc).
Les phrases simples relevant souvent d’un minimalisme, courtes voire segmentées, peuvent aussi apparaître défaites de leur terminaison syntaxique (ainsi « L’écart disparaît entre. »).
Les phrases juxtaposées, dans les blocs de prose, se réfèrent à différents registres et, si la forme reste régulière dans la mise en place de paragraphes, le travail de montage se réalise par télescopages et combinaisons abruptes de phrases. Ces dernières sont démises de leur contexte, produisant alors une étrangeté dans le propos, pouvant aller jusqu’à relever de l’absurde (ainsi dans les Douzains, « j’étanche ma soif avec un marteau »). Des qualificatifs incongrus sont donnés à des objets, des matières inhabituelles leur sont attribuées, (« des vêtements en bois »), les objets devenant interchangeables dans leurs propriétés, les éléments naturels dans leur état physique (« L’eau est pliée dans la valise. »/ « (…) le combiné du téléphone est tout fripé. » / « les enfants en plastique » / « Les montagnes sont remplacées par du plâtre. »). L’hétérogénéité affecte les phrases elles-mêmes, soumises alors à une absence de lien interne, entre leurs segments, dans les champs sémantiques de référence (« Une poésie de cartes et de relevés est garée dans le parking au niveau moins un. » / « La partie rédigée est fautive dans un bocal sur trois mètres carrés. » / « De fortes nuits sont facilement glissées entre le pouce et l’index. »).
Dans les Enoncés-types de Dominique Quélen, les propositions relèvent le plus souvent de l’abstraction. Le corps même est dénué d’affects (« Le haut de ton corps fait partie des dimensions. »), les énoncés et les propositions sont mis à distance. La géométrie reste omniprésente (« la forme d’une figure », « des animaux géométriques », « mesurer des diamètres »). L’expérience du réel se fait par l’introduction de corps perçus dans leurs segmentations, d’objets, d’actions. Ces dernières sont objectivées, hors narration, non contextualisées, se référant au registre de l’observation distanciée (« Comme si c’était un examen des actes, c’en est un. »). Un réel qui serait alors combinaison d’objets, d’actes et de notions, travaillé par les opérations du langage.