Anne Malaprade, Lettres au corps, éditions Isabelle Sauvage, coll. "présent (im)parfait", 2015, 48 pages, 10 €, ISBN : 978-2-917751-50-3.
Habitée des œuvres qui résonnent en elle, Anne Malaprade peu à peu écrit son corps (d’enfant, de mère, de femme) dans une sorte d’éternel présent où l’être est tiré de sa nuit par la pluralité des « adresses » . Cette approche permet progressivement de donner une réponse au « qui je suis », voire au « si je suis » de Beckett. Dans une fausse écriture épistolière l’écriture coule par le jeu les mots qui la composent de peu. Les mots ne sont jamais dans la lumière : pour preuve le noir d’ombre dont ils sont faits. Avec le temps ils s’ « incolorent » mais suscitent la même hypnose.
La poésie ne revient pas à inscrire un passé ou un devenir : juste à tenir dans le présent à mesure qu’ils avancent en produisant leur eux-mêmes à tâtons dans la recherche d’un possible coup de dés qui – Mallarmé l’a appris – n’abolira rien. D’un manque émis : demeure l’éclipse rien que l’éclipse, mais d’où un rai de lumière peut jaillir à condition de ne jamais faire de l’écriture un miroir. A l’inverse, pour Anne Malaprade, il s’agit de préférer le rébus à l’image. Là quelque chose se dit. La nuit tombée annonce une nouvelle insomnie, coule et s’échappe à travers des cloisons percées…
Peu à peu la naissance a enfin lieu et la mort se meurt, parce que le temps est tué en tant qu’imperméabilité abstraite, idéale, absolue. Cela enchaîne l’être à ce qu’il est comme le chat à son vomi. Ce qui n’empêche pas de vivre en une succession d’enfers et de paradis en ce qui guérit les être lucides d’un désir d’immortalité. Dès lors la poésie met fin à l’inconséquence de l’être mis en exergue chez Proust : " s’il n’y avait pas l’habitude, la vie devrait paraître délicieuse à des êtres qui seraient à chaque heure menacés de mourir – c’est-à-dire à tous les hommes." La poésie permet donc par son exercice une autre reprise de contact avec le réel en ses profondeurs.