Contre ce que Christian Prigent appelle le" Français Médiatique Primaire (FMP)", le Flux Poétique Répétitif Télescopé de Corinne Lovera Vitali, dont on visitera le site… [Dernière création sur LC : "Monsieur Rabbit"]
je suis passée à la boutique de sa mère il faisait ses devoirs dans l’arrière-salle combien ça fait XIV c’était Louis on a écrit en chiffres romains le nom des Louis et des siècles et mes initiales aussi et d’autres trucs de ce truc de berger qui se lit de gauche à droite avec dessous la traduction en chiffres arabes à 17 heures pour dépanner ma copine sa mère je l’ai emmené au gymnase où il s’entraîne au basket je lui ai dit que ma mère avait été internationale de basket il a eu le même air que pour les chiffres arabes il me regardait loin dedans en souriant comme si je lui racontais des craques mais il savait que c’était vrai il est beau ce garçon il parle d’une voix toujours un peu trop forte il a 10 ans il s’appelle Tahar il a de l’asthme il vit dans cette petite ville pourrie que Stendhal a pris comme modèle pour le Rouge et le Noir ce que j’ai appris récemment et j’ai voulu lire le Rouge et le Noir des œuvres complètes de HB que mon père avait achetées pour quand il serait à la retraite ce qu’il n’a jamais eu le loisir de faire mais ça m’a perturbée de savoir ça parce que je vis à 7 kilomètres de cette petite ville pourrie enfoncée dans une vallée sombre et humide où il y a un château du siècle XVII avec un parc de 100 hectares et appuyé contre un quartier ramassé tout préparé pour les incendies qu’on appelle le château de Paille c’est là qu’a grandi mon père et que vivent maintenant ma copine et son garçon et je ne peux pas y placer Julien Sorel et tout le bordel du R&N je n’arrive pas à aligner toutes ces couches dont certaines sont aussi les miennes je n’arrive plus à tout faire coïncider je me sens fragilisée Tahar m’a filé son rhume il parlait trop fort en postillonnant avec cette espèce de révolte exaltée qu’on a quand on a une petite fièvre on a un culot spécial il est possible que les fous de pouvoir aient tous une température au-dessus de la normale Tahar ne voulait pas rater l’entraînement malgré l’asthme la fièvre les ténèbres on devait encore réviser sa dictée préparée où il est question de clients impatients de vendeurs qui offrent du chocolat chaud et de jolis décors de Noël il ne faut pas dire du mal des enseignants mais je me demande s’ils vivent sur place et s’ils ont lu Stendhal Tahar a un sourire renversant il adore l’histoire de l’accent circonflexe relique du s de l’ancien français il adore chercher le féminin pour savoir s’il faut un d à grand ou un t à puissant il porte un bonnet rouge où est inscrit en lettres noires WTF je lui demande s’il sait ce que ça veut dire on dirait que je ne peux pas m’arrêter de harceler ce gamin on se fait mutuellement monter la fièvre il court rejoindre ses potes dans le gymnase illuminé en se retournant toutes les deux secondes pour me saluer de la main que surtout je ne l’accompagne pas jusqu’à la porte je lui rends autant de fois son salut je pense à ma mère qui a joué en lever de rideau des Harlem Globetrotters à cette saleté de dictée préparée et à l’autre extrémité des 100 hectares à l’historique château blindé où ils ont placé le musée de la Révolution Tahar m’a dit que son truc c’est l’aventure quand on parlait de littérature il a de la chance d’avoir trouvé son truc moi j’en suis loin
De retour vers les textes de clv. L’écriture fraîche et pleine d’humanisme.
Du clv comme on aime.