Revue Action restreinte n°9 — thème (entre parenthèse). premier semestre 2008, ISSN 1638-7473. [site de la revue]. Prix 12€50.
[Sommaire]
Édito, Aurélie Soulatges
Ouverture, Mathias Lavin, Aurélie Soulatges & Isabelle Zribi
Loque (une élégie) (extrait), Dominique Quélen
Le chant des races intérieures, Pierre Cendors
Épistémologie (chandelles), David Christoffel
Biographie, Rémi Marie
Ce qu’il faut de chimères (extrait), Mathieu Brosseau
Été précoce, Mathias Lavin
Espace / temps, Philippe Boisnard
Les lèvres sont (é)closes, Aurélie Soulatges
En creux, Mathias Énard
Gate of India (extrait), Fernand Combet
13 notes sur les parenthèses de Continuez, Jérôme Gontier
La vie véritable, Isabelle Zribi
La fiction, tu l’aimes ou tu la quittes, Nicolas Tardy
Les côtés cachés (extrait), Pascale Petit
Extrait(s), Maciej Niemiec (trad. Fernand Cambon)
[présentation]
Nouveau numéro de la revue, qui cette fois, s’attache à la parenthèse, et plus précisément à ce qui semble tenu entre ses deux arrondis. "Des parenthèses, on tire facilement une métaphore sur l’existence, désignant ces périodes isolées du cours de ce que nous nommons gauchement la vie" [p.5] est-il dit, au cours de l’ouverture du numéro. Moment en suspension, moment de reprise, de pause, d’interruption du cours, du flux, de l’évènement, fiction du recul, de la durée abstraite de son immanence, tant de lignes de questionnement à propos de la parenthèse, de ce qu’elle permet, en tant que scène propre à la langue, sans qu’elle n’ait de réels corrélas dans l’expérience immédiate.
Ainsi, si pour une part, on peut s’interroger sur une période de temps, qui serait un temps de parenthèse du point de vue du flux temporel de la conscience, comme c’est le cas avec le rêve, auquel se réfèrent tel cet enfant sorti tout droit d’un rêve chez Mathieu Brosseau, ou cet art de la mémoire qui se donne dans la forme du sommeil chez Mathias Lavin, reste que, la parenthèse n’est pas d’abord un phénomène dans l’expérience, mais bien une forme de jeu de la conscience face à l’expérience, à partir du langage et de la pensée, ce qu’exprime poétiquement d’ailleurs Mathieu Brosseau, dans son texte se donnant comme une forme de définition problématique de la parenthèse : "elle se déplcae à chaque définition. S’évite à chaque nom, s’échappe à chaque prise" [p.32].
Car ce qui ressort d’un tel thème, c’est bien que la notion de parenthèse ne renvoie à aucune forme de réalité manifestée, mais que tout au contraire, elle marque sans cesse l’irruption dans le flux du réel, du temps, de la langue, d’un à dire en marge de ce qui a lieu, d’un redoublement de ce qui a lieu à partir de sa mise en suspension par la langue. Dans le temps, elle nous conduit à un autre temps, une autre scène, rejouant autrement, selon un autre angle, ce qui déjà se joue pour une existence. C’est là, l’une des qualités d’un tel thème pour une revue littéraire, ouvrir aux écrivains cette question même de la langue comme ce qui fait — en quelque sorte — effraction dans le temps, le sortant de ses gonds, pour en saisir quelques enjeux que la durée dans son cours ne nous permettrait pas de saisir.
C’est en ce sens que nous retrouvons avec plaisir Jérôme Gontier, revenant sur les parenthèses qui ponctuent et dilatent le fil de son livre Continuez, dont nous avions beaucoup parlé il y a de cela quelques mois. Jérôme Gontier approfondit et explicite en quelque sorte ce qu’il a opéré par le travail des parenthèses : ainsi s’il "n’y a pas de système des parenthèses dans Continuez", toutefois, il note qu’elle permet d’établir "de fait entre l’auteur et le lecteur, une sorte d’intimité sur le mode de l’apparté", sorte de "vertu civile en somme, fondée sur un présupposé : on serait là quand même, entre soi, pour y voir clair…" [p.69]. La suite de son approche permet de saisr cet incessant aller-retour entre la narration et la liaison au lecteur, comme forme de surexposition par clignotement, de ce qui se trame, en plis, dans le fil mince de l’intrigue.
Ainsi la parenthèse, si elle est bien effraction dans un cours, c’est qu’elle permet aussi stratégiquement, certains types de relation au niveau du texte. Ici, en quelque sorte une forme de pacte de lecture — au sens d’Antonio Rodriguez — qui « engage une interaction entre le texte et les sujets qu’il met en relation » [def. de la notion de "pacte" dans Le pacte Lyrique au XXème siècle, p.69]. Interaction entre lecteur, chose lue et écrivain. La parenthèse immisce la possibilité de toucher autrement le lecteur, de déclencher autrement, par le tour et détour certains relations au texte. C’est sur ce type de pacte qu’a travaillé, d’une certaine manière David Christoffel, jouant et se jouant de la (fausse) proximité, affinité qui se tisse par la parenthèse entre celui qui écrit et celui qui lit. Son texte, Épistémologie (chandelles), se présente comme une variation des possibilités de précision, de connivences qui se présentent par la parenthèse : franchise de l’écrivain, apartés, adresse directe au lecteur, quasi-didascalie…
Terminons cette brève présentation pour de nouveau dire à quel point le travail micro-narratif des photographies d’Aurélie Soulatges [voir ici une série En finir] est troublant, fascinant. Dans cette série, appelées Les lèvres sont (é)closes, elle met en photographie, une poupée féminisée par les lèvres de son sexe, qui va avoir un plaisir solitaire à partir d’un sexe toy. Intrusion de l’objet contondant entre ses lèvres, ouverture de la parenthèse du plaisir, effraction et éclosion de ce qui le moment d’avant était clos. Cette figuration montre avec force, la question de la relation entre contnuité d’existence et parenthèse de vie liée aux plaisirs. Elle pose la question, si on suit cette perspective, de saisir le sens de la sexualité comme mis à distance de la vie quotidienne : sexe fermé, clos dans le cours quotidien.
[lire l’article de Philippe Rahmy sur ce numéro d’Action Restreinte, publié sur remue.net]