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[Chronique] « Tous les élégiaques sont des canailles » (Baudelaire). Sur la réédition des Élégies d’Emmanuel Hocquard, par Jean-Paul Gavard-Perret

février 25, 2016
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[Chronique] « Tous les élégiaques sont des canailles » (Baudelaire). Sur la réédition des Élégies d’Emmanuel Hocquard, par Jean-Paul Gavard-Perret

Emmanuel Hocquard, Élégies, P.O.L, 1990 ; rééd. Gallimard, coll. "Poésie", n° 513, février 2016, 128 pages, 9,90 €, ISBN : 978-2-07046-864-5.

 

Emmanuel Hocquard demeure un poète phare de la poésie du temps. Plus particulièrement par le renversement effectué dans la démarche élégiaque et son lyrisme « classique ». Plutôt que de ruminer le passé inhérent au genre, Hocquard fait écho à Baudelaire dans « L’Art romantique » lorsqu’il écrit : « tous les élégiaques sont des canailles ».

Avec lui, l’objet du poème n’est plus situé en dehors du poème et comme convié par lui. Il ne s’agit plus d’un référent constitué : nostalgie d’un moment ou d’une personne et dont  « Les regrets » de Du Bellay resterait le modèle. L’horizon est autre : il n’a de référent que le poème lui-même.

Face à une élégie contemporaine qui croupissait dans la déploration, Hocquard ouvre la voie à un lyrisme hors de ses gonds. L’élégie lui permet de poser les questions de la langue, de la forme, du temps et de la représentation. Abordant volontairement ce genre latin de manière « négative » il oppose à la tradition une inversion. Par fragments  et comme il l’écrit, « l’élégiaque inverse fuit les représentations ». Du moins celle du lointain intérieur.

Par l’élégie Hocquard inverse le temps, le genre ne masturbe pas le passé mais le reconstruit au sein de « l’action poétique ». Il ne s’agit plus de ruminer le passé de manière bovine mais de le réengendrer  dans différents topos où mots et objets sont en incessant chantier. Le début d’une des élégies en  donne le parfait exemple : « A l’époque / Où il fit commencer les travaux /l’île était accessible / par de petits ponts mobiles / bordés de docks et d’entrepôts ».

Comme ce texte l’illustre, il ne s’agit plus de faire appel à une quelconque affection mais à une affectation de dispositifs d’une construction matérielle. L’élégie s’objective sans soucis de métaphore ou de lamento. Elle ne met plus en exergue l’humain et son intériorité mais ses actes : de carrier, d’électro-électricien ; de chimiste, etc.

A la géométrie des gouffres intérieurs se substitue une architecture en marche où les constructions du futur (centrales électriques) jouxtent celles qui ont pour but d’entretenir le passé (bibliothèque). La langue caresse une extase matérielle – comme chez Ponge, mais selon une prise plus large.

L’écriture, dans sa performance, met en œuvres les choses. Elle ne se dilue non dans une sensibilité individuelle mais dans un « moi » plus large. Hocquard reste à ce titre le poète postmoderne par excellence. Celui qui met l’accent sur une dévitalisation de la persona. Ce qui n’empêche pas chaque élégie de s’adresser à quelqu’un en particulier. Toutefois les « envois » sont plus intellectuels que du seul registre du sentimentalisme.

Au lyrisme subjectif font place des interrogations objectives. La première personne n’implique plus la dimension autobiographique présente dans l’élégie classique. Chez Hocquard, comme il l’écrit, elle devient  « une affaire d’organisation logique de la pensée ». La trajectoire de ce nouveau lyrisme froid n’a donc plus rien de romantique. Au vocabulaire affectif font place le concept et la concrétude. Manière pour Hocquard de sortir d’une poétique de la torpeur en vue d’une nécessaire déstabilisation du lecteur. La possibilité de toute expression poétique n’a donc plus pour but d’échapper au logos. Ou du moins pas en totalité.

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rédaction

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