La question néo-libérale en poésie n’est ni nouvelle, ni essentielle. Cependant elle peut être conjoncturelle et apparaître par moment plus visible qu’à d’autres. C’est pourquoi, après avoir mis en évidence une logique néo-libérale sur sitaudis, il y a environ un an, j’y reviens, non plus par un texte de création, mais quelques remarques, tout à la fois ironiques et critiques. Car l’ego des poètes, dans le champ contemporain, semble revenir en force — à la fois d’un point de vue critique et symptomatique — à travers quelques postures, plus ou moins finement méditées.
Ainsi pour débuter, nous pourrions regarder la conjonction entre d’un côté le narcissoshow de Laure Limongi et le site-blog qu’elle a semble-t-il lancé sous le nom ambition. D’un côté un site qui promeut une image, où l’on trouve des photographies de la belle écrivain (ne soyons pas dupe, elle a travaillé elle-même littérairement sur la question des postures des écrivains et sur les photographies qui les représentent). De l’autre un site qui reprend le célèbre titre de l’émission de Bernard Tapi dans les années 80, et qui était dédiée à la libre-entreprise, à la réussite manageriale des golden-boys made in France. On me dira, mais cette posture est à comprendre au 2nd degré, elle est typique du post-modernisme, comme a tenté de le définir entre autres dernièrement Jean-Michel Espitallier dans Caisse à outils : « L’heure est à la mise à distance, au sentiment de l’absurde, à la dérision. Ce grand bouleversement, cet effondrement de la confiance en l’art comme humanisme inaugure ce qu’il est convenu d’appeler l’ère postmoderne« . Certes, mais ce serait en rester au constat superficiel, ne pas voir ce qui peut s’y cacher aussi. De plus comme j’y reviendrai ailleurs, il est possible de mettre en critique la logique parodique de la post-modernité, à partir d’une autre réflexion sur celle-ci. Le 2nd degré, s’il est bien présent, n’en est pas moins repris dialectiquement par la volonté d’une logique de visibilité, et dès lors une stratégie de l’image. Car sur le narcissoshow, nul humour ou détournement, nul recul par rapport à soi, mais bien un site qui se positionne autour de l’ego.
Cet art parodique de l’ego nous le retrouvons, et ceci dans une mis en scène bien plus élaborée, avec la dernière entreprise de Stéphane Bérard et son site dédié au coming-in. Bien pensé, ce nouveau site est une mise en perspective par l’humour d’une certaine logique d’entrisme.
Mais derrière ces parodies, parfois il est possible de voir d’autres entreprises d’ego qui par leur maladresse ne peuvent que déconcerter : je pense ici par exemple à la dernière affiche du Triangle présentant son programme du Printemps des poètes à partir de Jérôme Game : une affiche censée représentée un rhizome, à une exception, c’est qu’au centre de ce rizhome, il y a le nom de Jérôme Game. On se souvient déjà de la polémique qui était surgie lors du dossier du Magazine Littéraire en 2001, quand parlant de poésies, il s’était auto-cité, se prenant lui-même pour exemple. Ici, sur cette affiche, apparaît son nom comme pôle structurant une arborescence (ce qui est contradictoire avec Deleuze et Guattari). Maladresse esthétique ? Inflation du rapport à soi ? je laisse les lecteurs de poésie juger par eux-mêmes.