[Chronique] Christophe Stolowicki, Tâtons rompus

[Chronique] Christophe Stolowicki, Tâtons rompus

septembre 8, 2020
in Category: chroniques, UNE
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[Chronique] Christophe Stolowicki, Tâtons rompus

Les caractères acquis ne se transmettent pas est l’imbécile gageure théorique, contre toute évidence, que je devais affronter en sortant de mes études, dans les années soixante-dix. L’éthologie, qui s’était développée sous l’impulsion de Konrad Lorenz, était encore raciste. La génétique n’avait pas encore mouillé son vin, fractionné ses gènes. J’ai abandonné la partie, ayant mieux à vivre.

D’ordinaire l’inné et l’acquis font bon ménage, cela acquis par l’animal bien avant que l’homme n’ait germé. Mais dans le cas d’une naissance adultérine à l’encontre des mœurs, ou pis d’un enfant né d’un viol – les distinguer n’est pas moins impossible, tant ils abondent à se contrecarrer.

Autodidacte comme tout artiste authentique, je me suis formé moi-même, dit Héraclite, et se garde de former quiconque. Après lui tous les philosophes enseignent, y compris Nietzsche − plusieurs crans ont lâché.

« Lord Caversham, smiling at the pertness » (celle de Mabel Chiltern, dans An Ideal Husband d’Oscar Wilde). J’ai toujours traduit sans vérifier : « souriant à l’impertinence », et je n’avais pas tort, encore que le Harrap’s parle surtout de mutinerie, pert mutin côtoyant pertinent sans soulever d’obstacle ni de rapprochement – bref une symbiose allitérée de sens en le francophile écrivain aboutissant à cette délicieuse impertinence – laquelle ? lisez donc le théâtre d’Oscar Wilde, c’est ce qu’il a fait de meilleur.

À la fable rabbinique (L’an prochain à Jérusalem) qui s’est incroyablement avérée comme le berceau du sionisme et de la (re)naissance d’Israël – a succédé la fable freudienne dotant l’humain d’une hypersexualité théorique. Derrière ces théories, qui gardent quelque chose de la procession et ne sont pas des fêtes de la pensée, il faut entendre la rumeur sourde d’une asexualité (se marier tard, limiter les contacts à la seule reproduction) sur des siècles.

Le latin, expulsé de la langue administrative par François 1er (ordonnance de Villers-Cotterêts, 1539), continue longtemps de servir et de sévir : dans les prêches catholiques traditionnels, c’est-à-dire antisémites, jusqu’à nos jours ; mais surtout comme langue des  » philosophes  » : Descartes, Spinoza, Leibnitz, jusqu’à ce que l’allemand de Kant et de Hegel prenne le relais. Il serait fastidieux d’entreprendre l’étude linguistique des théoriciens de la connaissance (qui rarement, suivant l’étymologie de « philosophe » pratiquent la sagesse, sinon la folie) pour le moucheron enivré à la pissotière de l’auberge.

Le ou la poète n’est plus précoce, si surdouée soit-elle. Souvent la quarantaine suscite les premiers émois aboutis.

Le temps n’est pas loin où sévissaient des porte-parole, modèle Paul Bourget, fins connaisseurs de l’âme féminine, qui tiraient du je leur épingle, leur canne, leur jonc d’or.

Don Juan finit par faire une fin, Maupassant n’a pas vécu assez vieux pour savoir cela. L’homme éléphant de mer, grand maître de harem, aux épouses et concubines de plusieurs catégories, est une voie de garage, non le chemin de crêtes qui fait le sapiens sapiens.

L’enfance a perdu une bataille, elle n’a pas perdu la guerre. Français, encore un effort si vous voulez être Armoricains.

Le français classique simplifiait l’expression par la langue. Le franglais d’internet la simplifie par l’image, clin d’œil à deuil d’une culture.

Tâtonnements, trébuchements de Monk, poussière de prolégomènes, d’une politesse exquise que le jazz rock a piétinée.

Bribe après bribe se détachent mieux que ne tombe goutte sur goutte de la trompette d’or de Miles Davis (Concerto de Aranjuez, 1959), qui dans le cornet m’instille son alliance de métaux rares dont le corps naît d’une jeunesse acquise.

J’aime, pour rendre le rêve, la naïveté du Douanier Rousseau, le trompe-l’œil de Dali. Moins l’onirisme échevelé qui sévit, du 19e au vingt-et-unième siècle. Mais le seul peintre qui ait vraiment dit le rêve est Balthus (La Rue, 1933, La Montagne, 1937, Le Passage du Commerce-Saint-André, 1952-1954), par son art de la décontextualisation. En un même tableau plusieurs scènes s’ignorent, reliées par un fil invisible, espacées par un temps inconnu.

D’une moule mal fermée du Jardin des délices dépasse une jambe de l’entre-deux sexes, nue si peu nue.

Très nus ceux de Balthus, de la roseur aux joues du plaisir vierge aux quelques tableaux de membres déjetés. Ce qui domine sont les méplats de bras et jambes, chair jeune lue au plus charnel. En bascule au surréalisme, son œuvre équivaut (en l’excédant de loin) au parti pris des choses de Ponge. Paysages, natures mortes, centrage sur le sujet délaissant obsolète toute perspective. Comme Matisse, il se dispense de commentaires de poète sur sa peinture. La transgression se suffit.

Rêve : comment peut-on nommer rêve ce qui chaque fois s’annonce et s’énonce comme plus réel que le réel, surréel indiscutablement même s’il se dérobe – non comme un voile d’illusions mais comme le sol sous nos pieds.

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rédaction

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