[Chronique] De la

[Chronique] De la « rentrée littéraire »…

octobre 1, 2010
in Category: chroniques, News, UNE
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Une exposition suivie de la publication d’un livre, fruit de la collaboration entre le photographe Ulf ANDERSEN et l’écrivain-critique Pierre JOURDE, ainsi que les 20 posts de la revue TINA sur la "Rentrée 2010", sont l’occasion de revenir sur ce phénomène typiquement français qu’est le rituel de la "Rentrée littéraire".

40 ans de rentrée littéraire, photographies d’Ulf ANDERSEN et textes de Pierre JOURDE, éditions Anabet, parution prévue mi-octobre 2010, 192 pages, 29 €, ISBN : 978-2-35266-076-7. Exposition à la Galerie Basia Embiricos (14, rue des Jardins Saint-Paul 75004), du 26 octobre au 14 novembre 2010 (vernissage le 26 à partir de 18H).

"La Rentré littéraire par TINA", éditions è®e, 20 posts.

"Le critique dénonce, chez l’autre, non pas le contraire de ses valeurs ou de son esthétique, mais une image altérée de cette esthétique" (Pierre Jourde, Littérature monstre, L’Esprit des péninsules, 2008, p. 368).

Un phénomène littéraire français

Dès l’après-guerre, dans La Littérature à l’estomac (1950), Julien Gracq s’attaquait à « la fiesta rituelle et colorée qu’est devenue notre "vie littéraire" » : chaque automne voit désormais la nouvelle floraison des têtes d’affiche, le retour empressé des jockeys et des écuries en course pour les prix, la résurrection de cette "figure de l’actualité" qu’est devenu le "grand écrivain", qui existe « bien moins dans la mesure où on le lit que dans la mesure où "on en parle" »… Lui emboîtant le pas, dans La littérature sans estomac (L’Esprit des péninsules, 2002), Pierre Jourde fustige les récents avatars de ce "système qui consiste à faire passer un produit pour de la littérature de qualité." Et d’énoncer les deux règles majeures d’un jeu réglé par les eunuques (cf. Littérature monstre, L’Esprit des péninsules, 2008), et donc dominé par les discours périphériques des "critiques" comme des "écrivains" : "le produit, quel qu’en soit le genre, doit s’appeler roman", et tout produit labellisé "événement littéraire" lors de la rentrée se pré-fabrique "avec de vieux poncifs, de vieux fonds de sauce réaliste dont on fait passer le goût insipide avec quelques épices stylistiques d’allure un peu moderne" ; la demande culturelle grandissante ne correspondant pas à un besoin primordial, on donne au public, "non pas de la littérature, mais une image de la littérature."

De l’ouvrage sur 40 ans de rentrée littéraire qui paraîtra dans les semaines à venir ressort comme une évidence troublante la confusion axiologique qui règne en ces temps forts de la "vie littéraire" : coexistent ce que Gracq appelait "littérature de créateurs" et "littérature de monnayeurs". (Encore faudrait-il ajouter que bon nombre d’écrivains exigeants font aujourd’hui paraître leurs livres de façon délibérément décalée : pour cette "rentrée 2010", par exemple, tandis qu’Un mage en été d’Olivier Cadiot est sorti en août, Open space de Patrick Bouvet ne paraîtra que le 7 octobre). C’est ainsi que, parmi les 74 auteurs évoqués par Pierre Jourde dans des flashes fulgurants dont l’intérêt est autant littéraire que socioculturel, Christine Angot, Marie Darrieussecq, Yann Moix ou Amélie Nothomb avoisinent ces hérauts de l’avant-garde qu’ont été Sarraute, Beckett, Ionesco, Robbe-Grillet et Butor ; ces monstres sacrés que sont Aragon, Sartre, Soljenitsyne, Borgès ou Calvino ; des écrivains actuels déjà reconnus comme Cadiot, Chevillard, Ernaux, Koltès, Michon, Novarina, Volodine…

Dans la lignée de Gracq, deux traits d’humour caustique : "Sagan, l’écrivaine dévorée par son image. On dirait qu’elle s’est appliquée dans sa carrière à démontrer la validité des analyses de Gracq dans La Littérature sans estomac sur le premier succès qui vous accorde un crédit littéraire quasi illimité, l’extra-littéraire qui prend le pas sur le texte, etc." ; "Pourquoi un écrivain se perd-il ? Est-ce à force de vouloir faire l’écrivain, par tous les moyens ? Est-ce par abus de télévision et de journaux ?" (à propos de Yann Moix)… Mais la dimension satirique ne doit pas faire oublier qu’il s’agit également pour le critique de rendre compte des facteurs socioculturels expliquant la position phare de tel ou tel auteur lors de telle ou telle rentrée : "Comment passer du statut d’écrivain d’avant-garde à celui de starlette people, du statut d’auteur à celui de marchandise négociable, du Matricule des anges à Paris Match. Christine Angot est un phénomène. Ce n’est pas la qualité littéraire qui compte en elle, mais le fait qu’elle soit un phénomène" ; quant à Marie Darrieussecq, écrivant "avec de bonnes pensées sur de bons sujets, elle est l’incarnation même de l’époque"…  Ce qui fait de Sollers "une figure majeure de la vie littéraire" ? Il a tout vu, tout lu, tout dit, tout écrit, et il est partout… Ce "caractère" (au sens où l’entend La Bruyère, bien entendu) tranche avec l’explication sobre à laquelle il a recours pour examiner le "cas" d’un écrivain qui fait dans la simplicité, Henri Vincenot – "l’un des premiers cas d’écrivains devenus phénomènes littéraires grâce à Apostrophes."

La Rentrée 2010 vue par TINA

À première vue, les vingt posts que TINA – revue que nous déjà saluée à deux reprises (chroniques de Philippe Boisnard et de Fabrice Thumerel) – a consacrés à cette "Rentrée 2010" offrent un regard décalé ou des points de vue qui ne sont pas dénués d’intérêt : inventifs editorial board et web-stickers pour nous prémunir contre certains dangers ; articles pertinents ("Droits numériques : guerre ouverte contre les éditeurs" ; "Art et littérature : un milkshake littéraire à l’arrière-goût de lait caillé") ; quelques présentations attractives (sur Volodine, Écrivains ; Philippe Vasset, Journal d’une prédatrice ; Patrick Bouvet, Open space)…

Cela dit, très vite s’impose ce constat consternant : la Rentrée littéraire constitue bel et bien un événement pour TINA, avec ses "trucs pas importants mais qui occupent le terrain", ses non-événements et ses non-écrivains, ses photos et ses potins "in", ses notations et ses interviews courtes, voire inconsistantes… Pire, à quoi bon la critique, avec ses réflexions ennuyeuses, ses catégories abstraites, ses critères de jugement désuets, ses termes barbares et ses analyses absconses ? Rien ne sert de critiquer, il faut communiquer ! Suffit de ranger les ingrédients cités ci-dessus dans des rubriques-fun-qui-en-jettent : "littérature contemporaine qui tue", "Ça devrait le faire", "Les chouchous des médias", "romans graphiques qui déchirent"… Rien ne sert de critiquer, il faut plaire et séduire ! Allez, quoi, cooOOl !…

En matière axiologique, quoi de plus efficace que le "tamis TINA pour accéder directement aux bons livres" ! Oui-da, puisqu’on vous le dit : les Mages de TINA sont en communication directe avec les bons esprits… Pour évaluer un livre, un graphique suffit amplement, vu qu’une toile hexagonale (ça ne s’invente pas) permet de se figurer ses qualités ou ses défauts : les six points reliés entre eux dessinent une figure plus ou moins imposante selon leur emplacement dans l’échelle axiologique numérotée de 1 à 5… Et bien entendu, trois des six critères font la part belle au goût dominant : "rapport au réel" (?), "capacité à nous divertir", "capacité à absorber le lecteur"… Ces trois-là valent bien ces reliques : "originalité du sujet", travail sur la langue" et "inscription dans l’histoire littéraire". Avec TINA, simplifiez-vous la vie littéraire !

 

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Fabrice Thumerel

Critique et chercheur international spécialisé dans le contemporain (littérature et sciences humaines).

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9 comments

  1. Xavier Lainé

    hélas, par la grâce médiatique, la littérature se réfugie dans le paraître. L’important n’est pas d’écrire, mais de se voir hissé aux sommets de lé célébrité.
    Qu’en restera-t-il? Peut-être pas grand chose. Peut-être même l’histoire littéraire devra-t-elle aller puiser parmi les inédits, les valeurs sûres d’un art aux abois.

  2. éditions è®e

    Cher Monsieur Fabrice Thumerel vous semblez avoir oublié de lire certains des 20 posts de la rentrée de TINA, ceux ou nous parlons des livres (une dizaine), ceux ou nous interrogeons des auteurs (quatre). Discuter avec Antoine Volodine, Philippe Vasset, Patrick Bouvet et Nina Power c’est autrement plus intéressant que certaines des interviews consternantes proposées ici.

  3. Fabrice Thumerel (author)

    * @ Xavier : Notre objectif sur LIBR-CRITIQUE n’est pas d’être défaitiste, nostalgique, etc. – ni de faire de TINA le héraut d’une soi-disant décadence actuelle. Au reste, ni Gracq, ni Jourde ne sont des passéistes : le critique/satiriste dénonce, non pas ce qui s’oppose à ses « goûts », mais ce qui altère ses conceptions esthétiques – pour reformuler la position de Jourde (cf. citation de LITTÉRATURE MONSTRE en exergue à mon article).
    TINA et les éditions qui le publient font partie des nombreuses forces innovantes du champ littéraire actuel : chaque semaine, nous recevons plusieurs livres et revues des plus intéressants ; chaque semaine, nous lisons sur le Net des choses passionnantes… beaucoup plus que nous n’avons de temps pour en rendre compte ! Certaines créations – pas moins qu’à d’autres époques – semblent d’ores et déjà s’inscrire dans l’histoire des oeuvres qui ont marqué la littérature française. Notre combat consiste à mettre en valeur toutes les lignes innovantes et à participer aux forces de renouvellement.

    * @ la rédaction de TINA et aux éditions èRe : Suite aux remarques ci-dessus et au débat qui vient d’avoir lieu en dehors de cette page entre Émilie Notéris, Philippe Boisnard et moi-même, vous comprenez bien que cet article général de réflexion sur le phénomène de la « rentrée littéraire » ne saurait constituer une « agression » contre tout ce que vous faites.
    Quiconque a bien lu a bien perçu que je souligne l’intérêt véritable, non seulement de ces entretiens avec Volodine, Philippe Vasset et Patrick Bouvet, mais encore de certains articles de fond et de rubriques inventives.
    Dans la lignée de Gracq et de Jourde, il s’agit de s’interroger sur ce rite automnal et, parce que nous avons toujours apprécié et TINA et les éditions èRe, sur des pratiques qui ne leur ressemblent pas : « coller à l’actualité » de façon trop journalistique, ne pas approfondir la réflexion sur l’évaluation critique du contemporain… Voilà, c’est tout.

    Nous continuerons donc à suivre attentivement vos publications – et comptons sur votre esprit de dialogue critique (comme son nom l’indique, LIBR-CRITIQUE préfère le « clinique » au « clanique », la libr-réflexion à toute forme de concession ; c’est parce que vous aussi revendiquez votre indépendance que le dialogue entre nous est ouvert).

  4. émilie notéris

    Je ne vois pas bien le rapport au clan ici, si cette remarque s’adresse à TINA je vous ferais remarquer que le comité de rédaction est évolutif…
    Ensuite franchement les pratiques journalistiques ne nous concernent pas et ce pour aucun des 20 posts publiés sur la rentrée littéraire.
    Le terme « journalistique » est particulièrement insultant !
    Que l’utilisation de graphiques et schémas vous dérange soit mais il n’y a jamais de motif papier peint chez TINA, si les visuels sont là c’est qu’il y a une raison. Nous ne faisons pas dans le gratuit. Je rappelle qu’ils viennent d’ailleurs vers la fin de cette série de posts sous forme de récapitulatif.
    Enfin faire de la critique ce n’est pas activer son côté réac me semble t’il.

  5. Fabrice Thumerel (author)

    Et nous, nous ne voyons pas ce que vient faire dans un débat intellectuel une telle susceptibilité…
    Je traduis, donc : le « clanique » est ce que nous fuyons, et pas une description de ce que vous faites… En clair : même avec nos amis, nous pratiquons le débat critique – qui nous pousse plus loin les uns les autres ! (= pas de consensus mou sous prétexte de copinage).

    Par ailleurs, les rubriques et le lexique branchés que vous utilisez, certaines interviews ou présentations expéditives, cela ne ressemble pas à des pratiques journalistiques ?

    Pour le reste, si nous, nous nous ouvrons à votre travail, la réciproque n’est pas forcément assurée… sinon, vous n’auriez pas ajouté les deux derniers paragraphes qui font déjà se gausser certains Libr-lecteurs : nous vous invitons à découvrir nos centaines de créations audio, vidéo et graphiques (de 2006 à 2010)…
    Bien cordialement, Émilie

  6. Paillard

    Joli papier. A sa lecture, je n’ai pas ressenti de méchanceté. Plutôt un intérêt pour cette revue, qui m’a l’air diablement intéressante. Oha. Franchement, pendre la mouche pour ça… Drôle, certes, comme ces schémas ressemblent à ceux qui émaillent les cahiers d’achat de la FNAC (vous savez, l’ex agitateur). Je suis sûr que c’est de l’humour. Pas possible autrement. Bonne continuation à TINA et LIBR-CRITIQUE ! JF

  7. Fabrice Thumerel (author)

    Merci Jean-François : un tel enthousiasme et une telle fraîcheur font plaisir – d’autant qu’on a l’impression d’avoir été compris ! Et, bien sûr, les deux sont conciliables : et TINA et LIBR-CRITIQUE !

  8. Jean Boudin

    J’aime lire TINA aux toilettes et j’ai aussi trouvé que ces 20 posts laissaient à désirer. Il me semble avoir vu mieux dans ce magazine du tonnerre ! Je suis abonné. Je trouve votre critique très interessante Monsieur Thumerel et j’aime beaucoup vos articles. CONTINUEZ, c’est le fun !

  9. Fabrice Thumerel (author)

    Merci beaucoup, Jean ! Je partage votre point de vue sur TINA (sauf le début de la phrase : je n’ai, au sens propre, pas ce « point de vue »-là… rires !).

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