Dans l’attente de Labyrinthe, de Formation 2 ou encore de la troisième partie de Progénitures, en ce temps de vacance, on pourra (re)lire Prostitution (réédité il y a moins de deux ans dans la collection "L’Imaginaire"/Gallimard) ou Formation (Gallimard, 2007), tout en méditant à partir de ce dossier stimulant que la revue Europe a consacré à Pierre Guyotat en mai dernier.
Europe, n° 961 : "Pierre Guyotat", mai 2009, 20 € [pp. 3-173].
Saint Guyotat, comédien et martyr…
«Par "engagement", j’entends engagement sexuel, esthétique, audace, pas simplement activité politique à visée collective» (Pierre Guyotat, "Entretien avec Catherine Brun", p. 9).
À en croire certains, s’attaquer à l’œuvre de Pierre Guyotat (1940) peut sembler une gageure. C’est ainsi que dès 1967 à la sortie de Tombeau pour cinq cent mille soldats, Jean Duvignaud estime que "les jeux de la sophistique critique sont réduits à néant quand paraît une oeuvre comme le Tombeau" ; quarante-deux ans plus tard, dans ce volume, Patrick Ffrench confirme que cette écriture est "réfractaire aux tentatives de capture critiques et médiatiques" (p. 151).
Cela dit, dans son avant-propos au dossier qui résulte du colloque international qu’elle a organisé en mai 2007 en collaboration avec la BNF, Paris III et Paris VII, évoquant cette "œuvre tout à la fois inventive et classique, épique et lyrique, tragique et comique", Catherine Brun affirme sans ambages : "Le temps est aujourd’hui venu de dépasser la polémique et le témoignage pour faire apparaître la force et la trajectoire d’une œuvre hors normes qu’on ne saurait réduire à ses vertus subversives ou à ses pouvoirs de rupture." Et de mettre l’accent sur la triade créatrice de Pierre Guyotat : «"Faire avancer la langue", "produire de l’Histoire", "mettre du rythme sur le crime"»…
Suivent, en plus des témoignages sur ses expériences théâtrales (Alain Ollivier) et cinématographiques (Stephen Barber), des analyses sur sa langue originelle (Marianne Alphant), la sexualisation d’une histoire qu’il veut brosser à rebrousse-poil (Satoshi Ukaï, "Anus Dei"), sa poièsis anthropologique (Margarita Xanthakou), la scénographie des "gestes d’écriture et de profération" (Dominique Carlat), son lyrisme contrarié (Johan Faerber), le théâtre comme «le "genre-sens" à quoi à ce jour tend l’œuvre» (C. Brun), la tension qui anime son écriture entre désenchantement et réenchantement (Bruno Blanckeman), identité et altérité (Patrick Ffrench), ou encore sur ce qu’on peut appeler sa réelangue (Marie-Christine Lala et François Bizet)… Quant aux Carnets, ils nous apprennent qu’avant la naissance de l’extraordinaire idiolecte que l’on (mé)connaît, la langue de Guyotat est plutôt traditionnelle (Éric Bordas).
Vu les références à Jean Genet, les rappels d’une trajectoire dramatique (aux deux sens du terme), et la question de Pierre Vilar : "L’entreprise de Pierre Guyotat ne viserait-elle pas, par certains aspects, ce qu’on a communément désigné par le nom de sainteté ?" (71), notre titre s’imposait : Saint Guyotat, comédien et martyr…