François Matton, Exercices de poésie pratique, P.O.L, mars 2017, 128 pages, 12 €, ISBN : 978-2-8180-4244-1.
Dans son avant-propos à son livre, François Matton semble caresser le lecteur dans le sens du poil : « Chaque jour vous faites ce qui doit être fait, et dans l’ensemble vous le faites plutôt bien »… Néanmoins, en dépit de nos bons offices il se permet un bémol : « Quelque chose d’essentiel semble manquer pour faire de votre vie au devoir accompli une vie heureuse. Ce quelque chose, vous le pressentez comme un supplément d’âme, un luxe, une dépense d’un ordre supérieur ». Ce vide à combler s’appelle l’« aspiration à l’expérience poétique ». Mais l’auteur de préciser qu’après cette dénomination heureuse demeure l’essentiel : « régler la question des moyens ». D’autant que dans notre quotidien il reste peu de place à une telle fantaisie, fût-elle existentielle. Existe toujours quelque chose de plus « utile » à faire. La notion de « Dépense » chère à Bataille est remplacée par d’autres gaspillages. La voix sourde qui appelle est donc remplacée par celle plus lancinante de la honte et de la peur qui le plus souvent ne se quittent pas.
L’auteur nous rappelle que nous ne sommes pas forcément roi nu ou mendiant réclamant à lui-même son droit de vivre. Il nous rappelle à nous tendre non une sébile mais les bras avec autant de drôlerie que de sagesse. Manière de rappeler non seulement « qu’il y a des poètes partout » selon la vieille formule post-68, mais qu’il n’appartient qu’à nous de le devenir. Pas besoin pour cela d’aller aux ateliers d’écriture que l’auteur anime près de l’Océan ou ailleurs. Pas besoin d’écrire forcément des poèmes qui manquent à notre cœur ou notre corps. La poésie passe certes par les mots, mais autant par un savoir-être et le sentiment de se sentir – dit l’auteur – « cool et léger » partout avec les autres comme devant ces vignettes de B.D. qui « forment un délectable coq-à-l’âne plein d’ellipses. »
Au besoin l’auteur décline son alphabet personnel, non seulement par des mots mais aussi par un fourmillement de petits dessins accumulés de manière semi-aléatoire. Ce qui ne l’empêche pas lui-même et dans sa vie d’être pris, voire épris des vicissitudes coutumières, mais tout autant de remercier la providence même lorsqu’elle est peu amène. L’auteur apprend à travers son exemple de ne pas en faire une choucroute. « Plutôt que de perdre du temps à ressasser le pour et le contre » de certains refus, il préfère méditer plutôt que médire. En prenant bien sûr la posture adéquate, ce qui lui permet d’effacer la spéculation spécieuse qu’entretiennent certains écrivains entre vivre, être et exister – entre immanence, métaphysique et sortie de soi. Pour sa part il préfère : voir, entendre, ressentir « sans la nécessité d’un sujet voyant, écoutant, ressentant ».
Tout le livre file ce qui est moins métaphore que chemin. Histoire d’éviter la transe hypnotique que la saturation des informations produit. Il n’existe donc pas entre soi et soi un « moi » qui embarrasse. Manière de devenir sinon un pur esprit du moins l’être chez qui la « pensée moi » se lâche d’elle-même. Loin des cocorigito, l’auteur nous donne donc la marche son ; un livre qui devient Bible, Talmud, Capital d’un new-age ni mystique ni matérialiste.