Frédéric Forte,Nous allons perdre deux minutes de lumière, éditions P.O.L, février 2021, 80 pages, 13 €, ISBN : 978-2-8180-5049-1.
Reposé le livre, et ce n’est pas si souvent, un sourire – oh, à peine – aux lèvres, en se disant : voilà, c’est ça. Ni plus ni moins. Perfect ! Bien joué ! Un livre dont on se sent d’un bout à l’autre proche, le sentiment de comprendre les rouages, la place du moindre boulon, le jeu des allusions, la trace dans la suite des jours. Tout en sachant bien qu’il n’en est rien, le livre est là et fait bloc, il garde son mystère, son épaisseur. Amical mystère.
Classe et modestie.
Et puis l’on se demande… qu’y a-t-il ? Si peu, dirait-on. Une forme, un ton, le quotidien, des ellipses, une démarche. Ouais, pourquoi ça marche, pourquoi ça marche aussi bien ? Quand tant d’autres livres de poésie qui prétendent partir du quotidien me tombent des mains. Manque de classe, manque de modestie. Mauvaise lorgnette, qu’on la prenne par un bout ou par l’autre. Ou c’est le quotidien qui n’est pas le bon. Ou moi pas le bon lecteur.
Pas grave, car avec Nous allons perdre deux minutes de lumière, j’ai trouvé une pépite.
Livre faussement naïf. Qui avance tranquille, les mains dans les poches. La construction est réglée au cordeau, et c’est ce qui permet au texte d’avancer avec autant de naturel et de désinvolture. C’est léger : ça plonge au cœur des choses. (Et si c’était ça qui manque à tant d’autres, les lourds qui retombent sur place, les creux d’avance dégonflés ?).
Avec Frédéric Forte, les phrases toutes faites, les menus propos, les gros titres n’ont qu’à bien se tenir. Il a inventé une machine à décaper l’ordinaire – mais avec tendresse, l’air de ne pas y toucher. Nous laisse la musique de l’époque, le film abstrait de nos jours.