Holeu-lone est écrit par Mylène Lauzon suite au processus de création de Holeulone/chorégraphie par Karine Ponties.
Alors qu’une chorégraphie se passe sur une scène, selon la création d’une spatialité au rythme des corps, Mylène Lauzon invite à une autre forme de spatialisation : celle du crâne où se passe l’action, « le sien. Le mien. Le crâne » mais aussi celle de la langue. L’action ? Celle d’une distanciation, d’une rupture, d’un rappel, d’un revenant, de la revenance de ce qui a eu lieu et des paysages qui y sont rattachés, de la mer, du cerveau, de la langue de la rupture qui ne peut oublier les mots de la rupture. L’action ? Comment commencer ? à oublier, à dire, à demander, à questionner, à assommer, oui à assommer les mots qui se disent par la bouche et s’écrivent par les mains.
Le texte de M. Lauzon en se posant comme voix intérieure, narrativité disloquée du dedans, implique une création de l’espace qui part du dedans vers le dehors. « Contaminer sa vision du dehors, dehors n’existe pas » [titre de la partie I]. On comprend son projet en suivant cette contamination qui commence, par la simple création d’un volume, d’un lieu où le faire revenir : « définir pour lui couloir, mur, puits, table. Une mer non un cerveau oui ».
L’action est celle d’un jugement, celui d’un monologue poétique envers un autre, mais qui rapidement est celui d’une pensée sur elle-même, reprise critique de soi qui avoue que ce qui est, n’est que par la création que la pensée a elle-même faite.
Ce rapport à soi s’incarne par une violence du corps, violence des corps entre eux. Le désir est mêlé à la violence, au fait de « vouloir dans l’histoire déchirer sa cervelle », car « il faut suspendre le mot vie avec lui » « lui fracasser la tête » . Le texte devient la scène d’une forme de règlement de compte, où celui ou celle qui parle veut comprendre ce qui n’aura de cesse de s’échapper, l’autre, inappréhendable.
La violence trouve son apogée dans la très belle partie III, qui décrivant tout d’abord l’action de deux mains autour du trou de la bouche [extrait], et ceci selon des éclats d’action rendus admirablement par le rythme prosodique, en vient peu à peu à montrer le démontage shizoïde d’un corps où les mains, la tête, les yeux, les oreilles, la jambe témoignent d’un fonctionnement détaché du reste de l’organisme :
Ma main droite au bord, ma main reste au bord, pas dans le trou au bord du trou ma main prend lève mène au bord ma main laisse tomber, pas ma main le pain laisse tomber le pain dans le trou, ma main gauche reste loin du trou, ma main droite fait forme, pince, prend, recommence, lève haut dé-po-se au bord prend lève haut dépose au bord, ma main droite prend pain prend verre prend verre pince tenir plus long-temps pas laisser tomber ma main droite en poing, non ma main gauche en poing posé sur le bord de la table, ma main droite prend lève mène au bord en pince, pince ma main gauche roche ma main droite prend lève haut dépose.
La fragmentation de soi provient du fait que cet autre mis en scène, dans sa propre pensée, est le motif central de la pensée, l’abîme où elle perd l’unité de son monde. « Sa place dans ce trou », où il est « all alone » implique l’impossible unité de soi de la voix qui écrit : donc ses mots, les bribes dites ou bien écrites.
L’ensemble de ce texte de Mylène Lauzon, s’il donne à voir parfaitement ce que pourrait être une spatialisation à partir de lui, nous amène surtout à explorer cette pensée humaine qui se boucle sur elle-même qui a la charge de sa propre histoire et de l’ensemble de cette foule qui intervient au-dedans.