Jacques Barbaut, Alice à Zanzibar, éditions Æthalidès, décembre 2017, 96 pages, 12 €, ISBN : 978-2-9556752-5-0.
En lisant ces limericks à la sauce française[1], on rit souvent (Cette athlète prénommée Denise / Est championne de natation / Elle se justifiait avec une fière devise : / « Tout dépend de la préparation / Moi j’faisais le trottoir à Venise. »)[2], on se cultive parfois (pour ma part, j’avoue que j’ignorais en quoi consiste le gang bang) et on remarque à plusieurs reprises la virtuosité de l’auteur. Or, comme l’a écrit Denis Roche : « Ce n’est pas de la poésie. Il faudrait inventer un autre terme pour caractériser le plaisir, la sensualité, le lyrisme, la virtuosité. Les deux derniers mots sont peu appréciés aujourd’hui. »[3] Peut-on donc dire que l’on a affaire ici à de la poésie ? Quelle que soit la réponse donnée à cette question, le livre s’ouvre sur une citation de Léo Ferré qui souligne une évidence trop souvent oubliée dans la tribu des poètes : toute ségrégation lexicale (dans un sens ou dans un autre) n’a rien à voir avec ce qui fait d’un texte un poème – il suffit de (re)lire Villon, par exemple, pour illustrer cela. Même si dans la plupart de ces 238 quintils l’auteur appelle une chatte une chatte, cette dominante érotique ou pornographique (chacun en décidera, conformément à la fameuse formule dont l’origine est discutée : « la pornographie, c’est l’érotisme des autres ») ne l’empêche pas de traverser les lexiques les plus divers en évoquant des sphères culturelles qui vont de Betty Boop à Magritte, en passant par de nombreux écrivains : Hugo Ball, Sade, Kafka, Dante, Pierre Louÿs, Kerouac, Mallarmé, Poe, Sagan, Foucault, etc.
Par ailleurs, J. Barbaut glisse dans certains limericks un double de lui-même, plus ou moins incognito : Ce saligaud de Jacques / Faisait son boulot de mac / Il n’hésitait pas sur les claques / Quand elle sortait du claque / Avec moins de cent sacs. ; Cette fille cash de Kaboul / Me déclara, style cool : « Jacques, aboule ! / Sors tes boules / Que j’les roule ! » ; ou bien encore Cette lexicographe de chez Larousse / Qui pratique l’acte en douce / T’attire jusque dans les bureaux / du secteur MOTS NOUVEAUX / Teinte en flamboyante rousse. Il lance même quelques clins d’œil aux origines du genre (Quand ce poète de Quentin / Cherchait un quatrain / Il se hissait au niveau / Des graffitis de lavabo / Pour plaire à une catin.), puisque ces pratiques textuelles remonteraient à l’Antiquité gréco-latine – et cette galerie de mini-portraits (dont les modèles sont majoritairement féminins) rappelle quelquefois les traductions fort peu académiques de certaines épigrammes de Martial « recyclées » par Christian Prigent[4].
Quant à la besogne (formelle), l’auteur n’y rechigne pas : ainsi, pour mieux assurer (la rime), il n’hésite pas à adopter des postures acrobatiques, en dissociant fréquemment syntaxe et vers : N’accepte ni risque / Ni fantaisie puisqu’ / Elle n’admet que la voie classique, voire en poussant la pirouette jusqu’à couper les mots en deux : C’est en porte-jarretelles / Qu’elle semble la plus svel- / Te pucelle de Bruxelles – et, même si les ouvrages « sérieux » publiés précédemment[5] manifestaient déjà son goût pour les jeux avec la langue, ce livre en est la facétieuse confirmation[6].
[1]Cf. la postface, offerte sur le site de l’éditeur – J. Barbaut y explique, aussi savamment que drolatiquement, les principes de ce genre et son évolution jusqu’à nos jours : A la une – Æthalidès
[2]Pour en juger sur d’autres pièces, se reporter également au site des éditions où des échantillons sont présentés, y compris dans des vidéos où l’auteur donne de sa personne.
[3]in Le Monde du 04 /06 / 1999.
[4]DCL épigrammes, P.O.L, 2014.
[5]Cf. le site des éditions nous
[6]On en trouvera aussi de multiples preuves sur son blog : barbOtages