Jean Follain, Célébration de la pomme de terre, illustrations Marfa Indoukaeva, postface Élodie Bouygues, Héros-Limite, 2016, 64 p., 12 €, ISBN : 978-2-940517-51-0.
Repris par les éditions Deyrolle en 1997, le livre de Jean Follain a d’abord paru en 1966 dans la collection "célébrations" que publiait Robert Morel — collection aux titres variés, où l’on a pu lire une célébration de l’âne et une de l’épingle à nourrice, du pissenlit et de la sardine, du maïs (par Frédéric Jacques Temple) et de la boule (par Jean-Christophe Bailly). La célébration de la pomme de terre convenait bien à Jean Follain : quel légume est plus banal ? Il retrace rapidement l’histoire de son introduction en Europe, au xviiie siècle, rappelle son adoption rapide dans plusieurs pays, dont l’Irlande, mais son absence en Angleterre et son peu de succès en France jusque dans les années 1780. Les quelques pages d’histoire s’achèvent sur les noms qu’a portés le tubercule, par exemple "truffe (rouge)" (on ajoutera, parmi d’autres, "poire de terre") et sur les couleurs de la fleur (« celle de l’Estetingen blanc verdâtre, celle de la Pépo, rose, celle de la Belle de Fontenay, bleue [etc.] » et sur le moyen de cultiver la pomme de terre en toutes saisons, si l’on dispose d’une cave.
On achète rarement telle ou telle espèce de pomme de terre, puisqu’un nombre très restreint est disponible sur les étals ; elles sont pourtant très nombreuses et Follain développe quelques considérations à propos de l’une d’entre elles, la Early Rose (littéralement, « levée de bonne heure »), espèce hâtive cultivée autrefois dans le Cotentin et l’on allait chercher du sable d’estuaire (la « tangue »), entreposé à Saint-Lô, pour obtenir de belles récoltes. Souvenir d’enfance : « Mon père, chaque année, y venait pour commander cet engrais indispensable à nos Early. » Un juge des environs ayant donné quelques plants de vitelotte à sa grand-mère, Follain se souvient « des purées violettes : joie d’enfance » qui étaient préparées à partir de cette chair « peu succulente ». Il a aussi le souvenir d’une spécialité de sa grand-mère, « un excellent entremets » à base de pomme de terre.
Élodie Bouygues note que Follain était attentif « aux plus infimes détails du monde qui l’entoure » et c’est pourquoi il relève les emplois variés du légume (soupe, salade, gratin, purée, chips, etc.). Il énumère quantité de recettes, s’étonne qu’un chef ne cuise pas les pommes de terre dans le ragoût au prétexte qu’elles se défont : il déplore cette pratique qui gâte l’accompagnement et ajoute que, pourtant, il en est qui se tiennent à la cuisson, « ne serait-ce que des rouges de Bretagne » — Follain écrivait avant l’envahissement de la culture intensive…
Outre le plaisir de se remémorer les jours de l’enfance et d’aligner les recettes possibles, la célébration est aussi prétexte à citer des écrivains, Ponge pour l’épluchage de la pomme de terre en robe des champs, Barthes à propos des frites, Alexandre Dumas pour une recette, Ilarie Voronca dont il propose un poème, le hongrois Gyulia Illyes pour une "ode au champ de pommes de terre" qu’il a adaptée en français. Pour Robert Morel, que cite Élodie Bouygues, la collection des « Célébrations » visait « mettre en arrêt le lecteur du xxe siècle devant les mille riens de la vie quotidienne qui, à force d’usage, perdent couleur, saveur, présence. » C’était un des soucis de Follain de ne jamais oublier les simples faits et gestes de la vie ; il a écrit un poème autour de la pomme de terre qui a trouvé place dans le recueil D’après tout, où l’on peut lire aussi ce premier vers d’un poème, « Le cœur des vaches bat dans le pré »…