Qu’est-ce que tu vas lire toi ? Tu me le montres un peu à l’avance, t’en as une copie sur toi que je voie ? C’est en répèt, dans un studio insonorisé, lourde porte épaisse fermée. Je l’observe, il visse des trucs, ajuste son siège accroupi, ça va vite, il s’assied, jambes écartées, choisit ses baguette, il a la tête un peu détournée, le buste droit, prêt à s’écouter, saisir quelque chose, une puissance qui se formerait en lui et qu’il s’agirait de (re-)capter, comme s’il fine-tunait la radio, jusqu’à choper la bonne fréquence de lui, son instrument, ses avant-bras, son jeu démarre là.
Mais qu’est-ce que c’est que ce rythme là, qu’est-ce que ça dégage ? j’me dis. Fais-voir un peu, j’commence, hein, j’essaye des trucs il dit. Il a un pull jaune, un fute rouge, les murs sont gris foncé en laine tapissée. Ça explose en maîtrisé. On sent des modes, une grammaire qui passent leur temps à se réessayer, comme s’ils bafouillaient avec le sourire, pas sourds du tout : joyeux, insistants. Un fracas en continu-contrôlé : emportements, sorties de routes, précipités, déflagrations. Mais suspensions aussi, diminuendo, comme dans ses perfs, en listages ou (dé)comptant jusqu’à l’infini. Ça ne crashe jamais entièrement chez lui de toutes façons. JM Spit ou la non-mort. Aptitude au flirt avec le chaos, l’overdose, sourire aux lèvres, doigt d’honneur à la catalepsie au dernier moment, y compris en se taisant, – y compris en ne jouant plus.
Bon, j’en suis où, là ? Ah oui : la batterie re/dé-boucle, tout continue. Rythme pur. Joue avec son ombre. Accélère. Ralentit. Répétition/différence pure. Pas besoin de j’regarde ça, j’suis dans j’entends, j’me dis « Merde ! pas besoin de, comment j’vaism ettre du texte là d, de la voix moi ? j’me dis. Ça marche si bien tout seul, y compris avec l’œuvre poétique de JM, ses livres, ses autres performances, comme si c’en était un résumé qu’on entend là, un concentré, une métonymie, un générateur, un préambule, le fruit, les prolégomènes, le théorème, les préliminaires, la postface, les présentations, le prologue, un rebond, le laboratoire… Comment j’vai qu’est-ce que j’vais bien pouvoir faire dans le set d’Overflow1 moi, on stage ? Du rythme qui devient voix ? Du rythme qui devient mots via la voix ? Des mots-voix qui deviennent texte via le rythme-de-l’instrument-qui-vibre-là ? L’instrument là : contre, à travers, moyennant quoi, malgré lui, grâce à quoi, nonobstant, notwithstanding, thanks to. Oui ! Focuser sur l’instrument j’me dis, sur ce qu’il me fait. Voir ce qu’il me fait et passer à travers !
D’ailleurs c’est quoi ce qu’on fait tout les trois, JM, la batterie et moi ? Elle me recouvre, elle est beaucoup plus sonore et véloce que moi, elle exprime sans signifier, elle n’a pas ce poids-là aux pieds, ses codes sont légers, elle me baise la gueule à chaque fois, elle le sait, ça se voit. Ça s’entend. Alors j’essaie, je cherche à parler tandis que ça m’ferme ma gueule justement, depuis ça : dans l’onde sonique, la bulle rythmique, dans ses interstices et ses décroissances. Je gueule pas plus fort qu’elle ; je gueule d’être recouvert, – l’étant. Ça, mon langage connaît, ça fait longtemps qu’il se débat avec ça. Je m’, dedans. Monte le s. Le s on. Je parle à même cette chose (qui) m’empêche de parler, d’être physiquement audible, rythmiquement souverain (donc grammaticalement, aussi). Je parle depuis ça, cet empêchement, avec lui enfoncé dans ma bouche, ma gorge, mes oreilles, tout le corps enrobé de lui sur scène. Jean-Michel me voit, le sait, il joue (avec) ça, m’écoute, il écrit (la perf’) live avec moi, sur scène.
Deuxième temps de la perf’ : maintenant la batterie m’accueille, elle me laisse l’ouvrir, on m’entend plus distinctement, séquence « figuration (relativement) libre » : j’dis des tr, j’me promène à Toky, on entend mon guide tourist mon anglais, ça circule la batterie en background. Et puis dernier temps : on monte ensemble, j’me plante derrière le micro j’entends rien, j’entends tout. On s’comprend soudain, on s’soutient ça s’entend, c’est pas du chant c’est l’inverse c’est, et comment j’réécris mon texte pendant le set et comment le lire : dans cet aller-retour entre j’parle-dans, -sous, et j’parle-avec, -(sou)tenu par. Rythme pur. Rythme-langage (dans) rythme pur. Ça exprime par là. De la poésie, de la littérature par tous les moyens, ou comment JM m’aide à apprendre à écrire, baguettes en main. Thanx a bunch man ! Drum on !
1 Ce texte fait référence à Overflow, performance poético-rock de Jean-Michel Espitallier et Jérôme Game, dont le dispositif se décrit comme suit : un poète, micro sur pied, entreprend de lire un texte qu’il tient en mains. À côté de lui, un autre poète joue de la batterie. (Extrait sonore ici : http://www.jeromegame.com/overflow/)