[Chronique] La Conscience d'Hubert Lucot, par Fabrice Thumerel

[Chronique] La Conscience d’Hubert Lucot, par Fabrice Thumerel

décembre 4, 2016
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[Chronique] La Conscience d’Hubert Lucot, par Fabrice Thumerel

Moins dense que Le Noyau de toute chose (2010) ou Je vais, je vis (2013), La Conscience vaut néanmoins le détour.

Hubert Lucot, La Conscience, P.O.L, novembre 2016, 410 pages, 22 €, ISBN : 978-2-8180-4095-9.

"Mon corps est-il tout ce qui me reste ? La conscience d’être est mon plus grand bonheur" (Je vais, je vis, p. 133).

Depuis Je vais, je vis, Hubert Lucot continue de transformer en conscience le maximum d’expérience possible, suscitant l’identification de nombreux lecteurs : "des étrangers me montrent avec naturel que mille instants de ma conscience sont en eux" (p. 10). Réflexivité scripturale oblige, on apprend que l’auteur de cette somme en treize chapitres – entamée le 12/11/2013, c’est-à-dire juste après la parution de Je vais, je vis – apprécie "le système de nœuds à l’œuvre dans La Conscience" : "Les longues phrases de Phanées finissant en juin-août 1976 et du Centre de la France (1989-2006) forçaient. Maintenant la vérité prime – sans que j’exclue le mensonge romanesque" (158-59). Combinant comme d’habitude journal intellectuel et journal existentiel, La Conscience est la chronique parfois touchante des amitiés et des maladies – qui affectent ses proches comme lui-même -, toujours hantée par la figure de l’inoubliable A.M.

Mais par ailleurs, on y trouve des "coups de reins douloureux et libérateurs devant le motif" (28), des saillies socialement éclairantes, comme cet aphorisme : "JE NE VIS PAS DANS UN PAYS ÉTRANGER MAIS DANS UN PAYS D’ÉTRANGERS LES UNS AUX AUTRES" (385). Des contextualisations/historicisations épiphaniques sur Charlie Hebdo, l’absurdité de notre politique (étrangère), etc. Un exemple : "L’Égypte, qui a besoin de nos Rafale, attaque les djihadistes que nos frappes contre Kadhafi ont libérés en Libye, les collatéraux trinquent. Cette intervention renforcera le soutien des Libyens aux islamistes, le soutien ses Égyptiens aux Frères musulmans persécutés en Égypte" (270).

Cependant, dans le chapitre "Heil Charlie", la mécanique textuelle dérape… Si Lucot a raison de pointer la dérive sécuritaire et les excès qui ont suivi l’attentat de Charlie Hebdo, il dépasse néanmoins lui-même les limites : "Libération : NOUS SOMMES UN PEUPLE, qui attend son Führer" (250) ; "Les charlistes torturent les enfants, et ils tuent" (suite à la répression d’une émeute au Niger) ; "NOUS SOMMES CHARLIE. Le passage totalitaire du je au NOUS m’apartheide" (toujours à la page 251)… Outre les exagération et généralisation abusives, on soulignera l’agent catalyseur de cet hybris : le mépris intellectualiste du NOUS, assimilé à une régression "unanimiste". La question se pose alors : sans être-avec, peut-on se dire de gauche ? C’est précisément ce NOUS de gauche qu’exalte Pierre Le Pillouër, dans "Je suis un autre" – publié sur Libr-critique, et non sur le blog de Libération comme l’indique curieusement la page 260. Et Hubert Lucot de faire un mauvais procès à son ami, ancien de TXT où il a été accueilli, à partir de phrases tronquées extraites d’un texte qu’il ne s’est pas donné la peine de lire comme il se doit. Si tel était le cas, il n’aurait pu qu’approuver une telle défense de l’altérité ; quant à ce NOUS qui inclut "le peuple de France", sans doute est-il étranger à celui qui ne peut s’empêcher de considérer la foule avec un regard plein de suspicion.

Heureusement, les hallucirêves et les hallucimots sont là pour nous faire oublier ce moment d’égarement : "Un long autobus à soufflet tourne à 90% et monte sur le trottoir devant moi, rappelant à l’éveillé l’accident qui aurait pu le mutiler rue du Chemin-Vert dans Sonatines de deuil" (151) ; à l’évocation de la station Chemin-Vert, justement, succède l’hallucimot posistome (380)… Heureusement, l’œuvre y est remise en perspective. Par l’auteur lui-même, qui, dès 1955, a pris acte de la mort du roman pour se consacrer au roman de son écriture : "Pendant trente-cinq ans, de Phanées au Noyau de toute chose (2010), l’emportement produisit-il une échappée hors du langage courant, qui à la fin me ramène à lui, plus fort que moi ?" (148-49). Lui fait écho Didier Garcia, cité par le lucide Lucot : si, dans Le Noyau de toute chose, il restait 78 pages du Lucot styliste, Sonatines de deuil l’a privé de "la singularité d’écriture" qui l’a enchanté pendant vingt ans (302-303)… La Conscience ne peut que confirmer ce constat.

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Fabrice Thumerel

Critique et chercheur international spécialisé dans le contemporain (littérature et sciences humaines).

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