Suite à la dernière émission de Libr-critique, à l’un des posts du Forum et à la suppression effective de la page consacrée à l’"extrême contemporain" dans Wikipédia, voici quelques réflexions sur l’enjeu stratégique que représente aujourd’hui cette notion.
Parce que, d’une part, elle est datée, liée à un paradigme moderniste qui associe révolution littéraire et révolution politique, et que, d’autre part, elle est galvaudée, recyclée par les discours publicitaires et médiatiques, la notion d’"avant-garde" ne satisfait plus guère les écrivains, ni les chercheurs et critiques les plus rigoureux. Ainsi, après avoir posé la "non-identité du contemporain au moderne" [1]
Idem, entretien avec H. Bauer dans Java, n° 17, été-automne 1998, p. 67-68. . Mais bien auparavant, en 1986, en compagnie de Michel Deguy et de Jacques Roubaud, il participe au colloque où Michel Chaillou forge le concept d’"extrême contemporain", c’est-à-dire d’un contemporain englobant les extrêmes. L’opération symbolique vise à rien moins que labelliser une plateforme d’écritures exigeantes conçue comme une alternative au modèle avant-gardiste agonisant.
Peu après la publication des Actes de ce colloque (1987) dans la revue po&sie dirigée par Michel Deguy depuis 1977, naît chez le même éditeur Belin la collection du même nom, riche aujourd’hui de quelque soixante-dix titres. Depuis, l’appellation est entrée dans l’usage courant en matière de littérature, créditée par Google de plus de cinq cents références et employée dans des colloques de spécialistes comme dans divers panoramas et articles de presse. Parmi d’autres exemples significatifs, on retiendra ceux-ci : en 2004, la somme Le Roman français au tournant du XXIe siècle se donne pour objet "l’extrême contemporain" [3]Note [3]
Bruno Blanckeman, Aline Mura-Brunel et Marc Dambre dir., Le Roman français au tournant du XXIe siècle, Presses Sorbonne Nouvelle, 2004, p. 8.; en juin 2006, le colloque "Le Romanesque dans la littérature française contemporaine", organisé à l’Université de Lille III, a pour objectif de rendre compte des "nouveaux usages du romanesque dans l’extrême contemporain" ; dans son premier numéro de la nouvelle formule, prévu pour septembre 2008, la revue Itinéraires (Littérature, Textes, Cultures) entend "explorer les pratiques littéraires et artistiques de l’extrême contemporain" …
Mais arrêtons-nous sur le premier colloque international consacré à cette notion aussi vague que vaste, qui a eu lieu en mai dernier à Toronto : trois jours durant, des chercheurs du monde entier ont débattu sur les "enjeux du roman de l’extrême contemporain : écritures, engagements, énonciations". La première remarque qui s’impose est l’extrême extension du "concept", puisqu’il recouvre aussi bien l’écriture de soi que "l’écriture du jeu, l’écriture des idées et l’écriture du réel". Quant à la liste des auteurs dont il est principalement question, elle laisse pour le moins perplexe : Angot, Chawaf, Darrieussecq, Duras, Germain, Grainville, Houellebecq, Laurens, Toussaint… Quels rapports établir objectivement entre ces écrivains dont les pratiques comme les capitaux symboliques sont aussi différents ?
Comme le précise l’article de Wikipédia – désormais supprimé à cause de son extrême confusion, de son manque extrême de rigueur -, le succès de ce label s’explique par son "utilité pratique". Mais la difficulté de penser ou d’objectiver le contemporain justifie-t-elle la réduction de l’"extrême contemporain" au seul genre narratif ou à la seule "esthétique du fragment" ? le recours à l’amalgame, courant dans les milieux médiatiques, au sein d’une liste alphabétique d’auteurs des plus hétéroclites (de Abécassis à Wajsbrot, en passant par Adely, Angot, Apperry, Assouline, Beigbeder, Bon, Despentes, Echenoz, Ernaux, Germain, Houellebecq, Laurens, Michon, Pennac, Quignard ou Volodine) ? Pourquoi publier dans une encyclopédie un objet qui ne saurait relever d’aucun savoir car non construit, si ce n’est pour tenter, grâce à un bricolage pseudo-théorique, de légitimer des "valeurs littéraires" défendues par telle ou telle chapelle, voire par le Marché même ?
Car, à l’évidence, le label "extrême contemporain" possède deux atouts majeurs : c’est un terme neuf pour désigner des valeurs proches de celles contenues dans "avant-garde" : appartenir à "l’extrême contemporain", c’est être en effet à la pointe du nouveau
Très bien cet article Fabrice. Il rejoint ce que j’avais expliqué en demandant l’effacement de cette entrée de Wikipédia, ce qui a été suivi par un certain nombre d’intervenants.
Ce terme enveloppe un essaim définitionnel, il est flou, aux bordures mouvantes, à la structure mutante : il s’adresse davantage à l’intuition qu’à la réflexion, il est davantage terme de stratégie que de position au sens de l’analyse.
Je te remercie d’avoir fait ce point et d’avoir donné ces références.
Sujet : Conte «extrême contemporain».
Hum, il faut que je fasse attention à ce que je dis. Bon, voilà.
Chère lectrice, Cher lecteur,
➜ Découvrez «Les Aventures d’Ora et Gad»
au pays du point Oméga de Teilhard de Chardin.
Il s’agit d’un voyage encyclopédique, du passé vers le futur, qui permet à l’esprit de voguer sur des voies inédites. Innovant de bout en bout, l’ouvrage forme « en 28 lignes » la façade et le rideau déchiré du Temple d’Hérode à Jérusalem.
Longue vie et prospérité !
Merci à tous,
Alain Cocarix.
Il est clair que quand on voit la liste des auteurs, on n’a pas envie d’être de l’extrême contemporain.
» des chercheurs du monde entier ont débattu sur les « enjeux du roman de l’extrême contemporain » » Ils cherchent quoi exactement, eux ?
Sans toujours le recul suffisant ni la construction d’objet adéquate, ils cherchent à voir clair sur une production contemporaine pléthorique et éclatée…
Si les prestations sont inégales, certaines études particulières sont néanmoins pertinentes.
Anywhere out of this world, anywhen out of this f*ckin time.
Je souscris à ce que dit Mathias !