Dans un texte riche multipliant les registres de langue, La vie moins une minute agence des énoncés travaillés par l’humour et l’éclatement des niveaux langagiers.
Marie de Quatrebarbes, La vie moins une minute, édition Lanskine, automne 2014, 90 pages, 14 €, ISBN : 979-10-90491-15-1.
L’ensemble recouvre trois sections se référant, par leur titre même, à la fois à un registre familier/populaire de langue (« ça caille les belettes »), à un lexique anglais (« Looping ») ainsi qu’à une fragmentation syntaxique (« Sinon violette »).
Se référant à l’enfance et à l’adolescence et reprenant ses codes pour parfois mieux les détourner, différents niveaux de langue se superposent, s’immiscent entre les fragments, composant un tissu ou matière sonore dense dans laquelle alternent les tons et les modes (léger/grave).
Marie de Quatrebarbes reprend les genres associés à l’enfance (conte, comptine, fable). Ils rejoignent ici des bribes narratives ayant trait parfois à des personnages du quotidien (un voisin, la boulangère) aussi bien qu’à d’autres thématiques (amour notamment). Le monde de l’enfance s’énonce dans des notations emblématiques (« boire du chocolat dans des gobelets »/ « (…) fait des bulles avec son savon, qu’elle pète »). Les énonciations se réfèrent aussi bien aux contraintes ritualisées de l’enfant (énumération des obligations, ainsi en début de texte « il faut couper les ongles/ il faut manger etc.) qu’aux transgressions enfantines (« tu lèches le canapé »).
Jalonnant les expressions familières et métaphoriques (ainsi « petite endive ») et les onomatopées (tissant un lien étroit avec l’oralité), des ruptures, dans l’articulation d’un discours humoristique, s’opèrent dans l’introduction d’un registre de ton plus grave (« j’étais cet enfant de travers/ il y a mille façons de discuter entre adultes/ autant se taire » et, en explication du titre, « l’enfant bascule, tête en avant (…) plus rien dire sinon la chute/ la vie moins une minute »). Si un énoncé ainsi s’annonce telle une comptine enfantine (« Je suis montée jusqu’au sixième étage/ j’ai croisé la trottinette de l’araignée »), l’introduction d’un lexique argotique puis d’un énoncé fonctionnel, enfin d’un autre plus abstrait se rapportant à l’affect et à la sensation (Penser par toi m’épuise/ Je photo-synthétise le rapport) marquent des ruptures dans les énoncés et les niveaux de langue, en même temps qu’ils mettent en œuvre les éléments d’une composition langagière éminemment riche.
L’ensemble se trouve traversé par un aspect critique en filigrane qui, sans être acerbe, n’en développe pas moins ses pointes acides (ainsi, dans l’énumération des lieux dominicaux et en boucle « Au parc, à l’église, au restaurant et au pieu etc. »). Procédant également par séries, et ici, de questions (sur le mode « comment faire pour… »), reprenant en les détournant les questionnaires de magazines féminins, Marie de Quatrebarbes produit un texte dans une diffraction des registres de référence (concernant à la fois des sujets de société et la sphère du privé).
La structure dans la première section se trouve marquée par la numérotation des fragments (« petit un/ petit deux » etc), la seconde par la mention de sous-parties (« Dingo/ Dingo de Personne/ Dingo central ») tandis que la dernière se compose dans une forme plus régulière (poème faisant blocs liés) introduisant des personnages (« Salopine et Salopette » pouvant évoquer des noms de personnages de Claude Ponti, en littérature de jeunesse). Marie de Quatrebarbes multiplie les expressions familières et métaphoriques (« on s’en dit des salades »/ « éclater ma croûte de bœuf ») souvent savoureuses (« ça m’exaspère le ciboulot prêcheur » ou encore « elle est belle comme un os à moelle ») dans une recherche sonore (« ça glute à go go ») et un détournement des expressions (« fille folle, fille à lier »).
On notera la fonction rythmique des phrases interrogatives venant s’immiscer dans le corps du texte ainsi que les amorces de dialogues (adresse au lecteur, dialogue rapporté ou encore intérieur). Cette dualité dans le ton (légèreté le plus souvent/ sombre parfois ou encore bipolarité humour /sérieux) est sans doute à mettre en correspondance avec le monde décrit de l’enfance et de l’adolescence où le champ lexical recouvre des notions contraires marquant l’ambivalence (notions de douceur : « nid » et de dureté (« fracasse », « couperet »). Si le monde de l’adolescence est ainsi montré également dans ses difficultés (regard des autres, premiers amours), l’émotion empreinte d’une certaine gravité reste contenue par l’humour qui se réintroduit aussitôt, notamment dans les clôtures des textes (ainsi « Rires ! » en fin de texte qui pourrait être un « rideau » marquant la distance d’une représentation, un effet de dédramatisation ou de recul).
Le rythme du texte La vie moins une minute s’opère ainsi remarquablement, avec légèreté, dans cette alternance de tons, de niveaux de langue et de registres.