[Chronique] Mathieu Brosseau, Ici dans ça, par Mathieu Gosztola [Dossier Brosseau 3/3]

[Chronique] Mathieu Brosseau, Ici dans ça, par Mathieu Gosztola [Dossier Brosseau 3/3]

juillet 26, 2013
in Category: chroniques, Livres reçus, UNE
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Voici le dernier volet du Dossier consacré à Mathieu Brosseau à l’occasion de la parution de Ici dans ça – que nous vous invitons à découvrir durant cet été. (De même, vous pourrez profiter de la pause estivale pour remonter la UNE…). Cette chronique de Matthieu Gosztola fait suite à son dialogue avec l’auteur.

Mathieu Brosseau, Ici dans ça, Le Castor Astral, été 2013, 175 pages, 15 euros, ISBN : 978-2-85920-943-8.

Dans un entretien avec Florence Trocmé publié dans Poezibao le 1er juillet 2013, Mathieu Brosseau avance : « […] je crois que la vraie littérature ne singe pas la vie. Elle est la vie même. Elle n’est pas un calque, ni une description faite de mémoire de quelques situations données. Elle est la situation. ».

Or, toute situation est faite consubstantiellement d’une somme de hasards tenus ensemble.

Et ces hasards, la poésie les a exclus de son champ d’action dès le XIXe siècle, comme le rappelle Jean-Yves Tadié : « La langue de la poésie devient, au cours du 19ème siècle, entièrement consciente, non soumise […] à l’impureté qui [est] la chance de la prose ».

Bien sûr, il y a eu le XXe siècle, et notamment la vague Artaud. C’est avec ce courant, ces flux déraisonnés que Brosseau renoue en profondeur, ce qui est particulièrement visible et audible dans Ici dans ça.

Comment, à la suite du mage Antonin, faire entrer l’impureté dans le poème, c’est-à-dire la vie ? Mathieu Brosseau donne la clé dans l’entretien qu’il vient de confier à Libr-critique : « Il s’agit je crois de produire une manière d’écrire qui soit le produit même du vivre (c’est-à-dire du sans-nom), sa mise en réalité si je puis dire, sa mise en souffle ».

              Pour que la langue ne soit plus entièrement consciente mais soit une façon – plurielle – qu’a l’inconscient de continument éclore à lui-même, faisant advenir le monde qui l’entoure en même temps que ses propres inflexions – rythmiques –, Brosseau travaille la matière même de la langue… au couteau, comme le ferait un peintre.

En ce sens, toute exégèse ne peut que se tenir en-deçà de cette matière langagière, matière sonore qui draine avec elle son réseau dense d’images enchevêtrées. Matière sonore qui devient matière picturale pour l’oreille… frappée. Devenue être aux aguets :

 « Un jour, un soir, il me file des tremblotes, mes roues n’avancent plus, c’est la proie facile, libérée, je m’agenouille, il n’y a plus de sel, papa, et maman sache que je pleure, d’un rire d’enfant, et la croix bien implantée sur le dessus du crâne, il me fallut bien peu pour que j’agonise, il me fallut bien peu pour que je m’en sorte, vivant comme la plante vorace, il en est, il y en aura, des comme ceci, des comme cela, il paraît que les plantes poussent comme cela, en proie aux vices de la procédure, la poussée est une procédure, l’image nous libère de quelques chants d’illusion, la mimèsis, la proie facile, je pénètre le système par les yeux, le regarde, la proie était facile sous les décombres d’une pie en sommeil, c’était moi-même, le bison fait tache d’ombre, en cela, il n’y aura plus de pénombre, il n’y aura plus d’accès sans peine, il n’y aura plus de possibilités de vaincre, d’apparition, il n’y a qu’une fusée, ne pensant plus, j’aurais eu honte de ne pas te le dire, il fallait qu’on sache tous les deux à quoi s’en tenir, le réel, on se le dit, il fallait là que la parure chante, je suis une bête, un ensemble de bêtes criant à l’unisson, qui parle ?, nous sommes cette expression, IL PARAIT QU’IL N’Y A RIEN SOUS L’OCEAN QUE DES PLAQUES DE BRONZE, LES MYTHES DISENT CELA, LES MYTHES AU SON DES BÊTES, LES MYTHES VIVANT DEHORS. TOUT A FAIT EXTERIEURS, CONDITION DU REFLET. MAIS COMPLETEMENT DEDANS CAR L’AILLEURS EST PROFONDEMENT INTIME, VOUS LE SAVEZ. // De l’espérance, les mythes en dehors, les livres d’autrefois, le silence dit le nom de l’action […] ».

                Comme ce passage nous permet de le saisir immédiatement, Brosseau donne aux liés et déliés de la langue, à ses rugosités, à son allant, à son lisse et ses creux, les lueurs de la pensée.

 Lueurs qui ne recouvrent pas d’une poussière factice la rugosité de l’inconscient, mais qui intensifient l’ensauvagé de celui-ci.

 C’est à ce paradoxe que toute l’œuvre de Brosseau tend, pour ne pas le résoudre mais pour, au contraire, le faire vivre dans sa tension propre.

                Et l’auteur de revenir sur le passage cité dans son entretien avec Florence Trocmé, mû par un désir d’explicitation, sans toutefois ôter au mystère sa part de vie (les battements de son cœur) : « Les hoquets des sanglots rythment une phrase autant que les hurlements de loup. La matière vocale amène l’auditeur/lecteur à comprendre implicitement la conscience de celui qui raconte. La musique est un secret. La conscience aussi. Les secrets sont rares. Le silence de l’action dit le nom de l’action. Dire, ce n’est pas forcément produire un son, c’est faire comprendre. L’érotisme du phrasé est là : dévoiler sans dévoyer. Je n’en dirai pas davantage car le reste est affaire de silences… ».

             Et il faut rouvrir Ici dans ça pour comprendre comment Brosseau s’attache à réinventer l’adage shakespearien (the rest is silence) : « […] Donner sens à ce qui se referme pour rejoindre un nouvel insensé. Et tout recommence. Et tout sera toujours de la partie. Tais ce qui développe. // Il est l’heure maintenant de taire la question et sa répétition, les mots en trop ne feront pas œuvre. Le silence se fait, il est la rotule des temps. Juste avant et juste après la pensée. ».

Susini-Anastopoulos écrit dans L’écriture fragmentaire, définitions et enjeux : « Le silence qui figure le non-achèvement volontaire de la pensée laisse cette dernière en état d’enfance, oblige l’esprit à rester "sur le seuil", comme disait Nietzsche, dans l’attente de la mise à jour d’un possible trésor ».

               Ce trésor a entièrement à voir avec l’enfance.

Pour Brosseau, rejoindre l’inconscient par la langue, c’est en définitive rejoindre l’enfance.

C’est faire que l’enfance – cette part d’irruptif hors des schématismes encerclant l’être avec le fer mou du socialisé – qui est à l’œuvre dans la pensée qui est à l’œuvre dans le langage soit toujours vivace.

Vive comme au premier babil.

 

 

 

 

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rédaction

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