[Chronique] Mathieu Gosztola, De la nécessité d'emmener les jeunes au théâtre (Littérature et théâtre 6/6)

[Chronique] Mathieu Gosztola, De la nécessité d’emmener les jeunes au théâtre (Littérature et théâtre 6/6)

décembre 21, 2017
in Category: chroniques, UNE
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[Chronique] Mathieu Gosztola, De la nécessité d’emmener les jeunes au théâtre (Littérature et théâtre 6/6)

C’est par une invitation au voyage théâtral que se termine la série proposé par Mathieu Gosztola sur le théâtre… [Lire/voir le 5e volet]

Il faut, dans n’importe quel cadre scolaire (n’importe lequel), emmener les jeunes au théâtre. C’est une nécessité.

Afin que cette fleur qui est en eux puisse, délicatement, ou brutalement, joyeusement ou douloureusement, se conjuguer à tous les temps – passés, présent, futurs –, dans une efflorescence qui tient autant au commun qu’au singulier le moins partageable.

Afin que l’enfant, l’adolescent, devenu non plus lecteur mais spectateur devant la vie et devant les possibilités de liaison, de déliaison contenues dans les mots, dans les phrases, puisse saisir que le je, le tu, le il, le elle, le ils, le elles, ou le nous, oui¸ le nous, le nous, le nous, saisir – en les incarnant par la pensée – que ces personnes de la conjugaison que nous « croyons pouvoir [connaître] depuis l’école primaire […] sont pourtant ce qu’il y a de plus difficile à "comprendre" au monde », ainsi que l’a remarqué Daniel Mesguich dans Estuaires (annotation et postface de Stella Spriet, Gallimard, collection Hors série Littérature, 2017).

Il faut, dans n’importe quel cadre scolaire, emmener les jeunes au théâtre. Tous les jeunes. Pour s’en persuader, il n’est que de découvrir cette anecdote relatée dans le même volume :

« Nous jouions, il y a quelques mois, Bérénice de Racine, au théâtre de la Croix-Rousse à Lyon. Devant le théâtre, un parking en construction. Terrain vague, béton, gravats, pelleteuses… Un groupe de lycéens, amené par car d’une lointaine banlieue, arrive au théâtre. L’un d’eux porte un Walkman, qu’il n’ôte pas de ses oreilles quand le spectacle commence. Il écoute son rap et regarde du Racine. Au bout de dix minutes, il se lève et sort, avec quelques copains ; ils vont discuter devant le théâtre, sur le chantier, en attendant la sortie des spectateurs pour pouvoir reprendre plus tard le car avec les autres, ceux qui sont restés au spectacle. Je les rejoins sur le terrain vague. Je dis à celui qui portait un Walkman qu’il a peut-être tort de ne pas rester. Il me rétorque : "Oh là là, prise de tête, moi j’suis un révolté, m’sieur." Et il me dit qu’il n’est pas, lui, obéissant comme tous ses copains qui sont restés assis. Je lui réponds qu’à mon avis c’est le contraire, que c’est lui le plus obéissant : qu’il avait été programmé pour les gravats et les terrains vagues par, disons, la société ; qu’aujourd’hui, parce qu’on l’y a amené, il s’est retrouvé – statistiquement, il n’y avait presque aucune chance – devant le texte de Racine, mais que décidément la loi de la société avait été la plus forte, et que, très vite, il avait été repris, et obligé de retourner à ce à quoi on l’avait programmé : le terrain vague, le Walkman, le béton et les gravats… Je me suis éloigné. Quelques minutes plus tard, je l’ai vu, du coin de l’œil, retourner en douce au spectacle… »

 

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rédaction

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