[Chronique] Je est bien un autre (à propos de Mathieu Lindon, Moi, qui que je sois), par Jean-Paul Gavard-Perret

[Chronique] Je est bien un autre (à propos de Mathieu Lindon, Moi, qui que je sois), par Jean-Paul Gavard-Perret

janvier 5, 2020
in Category: chroniques, Livres reçus, UNE
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[Chronique] Je est bien un autre (à propos de Mathieu Lindon, Moi, qui que je sois), par Jean-Paul Gavard-Perret

Mathieu Lindon, Moi, qui que je sois, P. O. L, en librairie depuis le 3 janvier 2020, 400 pages, 21,90 €, ISBN : 978-2-8180-4922-8.

Mathieu Lindon reste fidèle à sa veine « romanesque ». Et ce, même s’il ne cesse ici de changer de « moi » dans une stratégie littéraire où il cultive ses fondamentaux. Le déplacement de ce moi s’enracine dès le début du livre, là où l’écriture n’est ni une autofiction ni une histoire à proprement parler. Mais une sorte de malentendu : « Il était une fois moi, croyez en moi, s’il vous plaît, qui que je sois. » Se ressent non seulement combien l’auteur a envie d’être vu de manière différente, mais nous avec. Preuve que je est bien  un autre.

Certains peuvent n’y rien comprendre, mais c’est une conquête et une traversée. Lindon ne s’était jusque là qu’entrevu et le monde idem. Mais l’amour, le travail, la vie en société, créent des (r)évolutions pendant la nuit sans pour autant dire que Lindon change du tout au tout. Il ne comprend pas pourquoi il ne comprend plus ce qu’il comprenait sans problème, sans blessure. Tout à coup, mû par une force il semble n’y comprendre plus rien. Mais à partir de là tout est possible, la forme se débonde sous divers régimes.

Dans la première partie, « Contes de fées et autres romans d’amour », le lecteur est soumis à une série de situations et de questions pour en estimer ce qu’elles produisent : une odeur nauséabonde, l’annonce de la mort de quelqu’un, l’inutilité récurrente de son sexe. Dans le texte suivant, un prédicateur spécieux nous engage à « Faire de son cul une œuvre d’art ». Et il s’agit une nouvelle fois d’en estimer les conséquences. Enfin « L’enquête » crée une mise en pièce d’une enquête policière.

On comprend que, pour se dire, Mathieu Lindon joue de nos attentes, fantasmes, envies, etc. pour renverser l’ordre des choses afin de donner un sens et une logique à ce que, qui ou quoi nous sommes à travers ce que nous imaginons, extrapolons et parfois vivons. Nous sommes donc loin, en dépit du titre, de l’autofiction. Si elle existe c’est en lignes de fuite plutôt envoûtantes entre farce, mélo, rêve ou cauchemar.

L’auteur interroge le sens de nos images, leurs errances, leurs pièges. Il se moque de nos souverains poncifs et les remplace par d’autres figurations du désir. Le ludique n’est jamais oublié au cœur même de la gravité. Il y a là l’objectivation du factice, la théâtralité d’une société intime « du spectacle » propre à ravir Debord s’il était encore là.

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rédaction

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