Michaël Batalla, Poésie possible, éditions NOUS, coll. "Disparate", avril 2015, 208 pages, 20 €, ISBN : 978-2-370840-10-3.
Dans une expérimentation formelle et une approche visuelle, Poésie possible de Michaël Batalla rassemble des séquences écrites sur quinze années.
Plein centre, écrit en 2006 – et dont la première parution fut remarquée dans la revue Mir, revue d’anticipation en 2007 et 2009 – amorce l’ensemble. Se situant, selon l’auteur, « entre le poème, l’histoire et l’article », les trois sous-titres de la séquence mettent en évidence une démarche, un positionnement dans l’appréhension du réel (il est question de « dispositif », d’« approche », de « tentative d’observation »), d’une réalité sociale qui a trait aux interpellations dans la rue (demande de papiers d’identité) ainsi qu’aux centres de rétention administrative.
« et l’observateur toujours
celui qui regarde avant d’écrire qui ainsi prétend agir ».
Dans l’avancement du texte, un même questionnement sur une observation qui serait participante, dans l’enregistrement des réalités sociales.
Ainsi, « je me demande si des notes manuscrites
peuvent être considérées comme des prises de vue ».
La distanciation dans le positionnement, au regard d’une réalité ainsi rapportée, se retrouve dans le titre de la seconde section du livre « Le boulevard Magenta objectivé », portée également par une fonction de transmission, dans une autre section :
«.. énoncer dans ce qui a été vu ce qui demeure et doit être transmis
dire : voici ce que j’ai vu ».
Dans ce placement de l’auteur, l’objet d’observation et d’écriture se situe dans le champ social aussi bien que dans un cadre environnemental. Ainsi, le domaine forestier devient motif transversal dans les séquences de PLX et de La chute de la branche du chêne Saint-Jean.
Cette cohérence dans la démarche se retrouve dans la composition du livre. Les différentes sections qui le structurent reposent sur une logique formelle, chacune des séquences comportant une quantité de textes suffisante pour qu’une forme s’y installe. Les sous-titres des sections, dans l’ensemble du livre, sont autant de jalons structurants, en référence à un registre littéraire et formel (« phrases », « chant », « poèmes purs », « poème enregistré », « journal court », « cycle »…).
Les séquences de Poésie possible abondent d’éléments hétérogènes entrant en relation dans une introduction de schémas, signes, codes (pouvant être flèches de liaison, formules chimiques), agencement de fragments épars, annonces, notices, lettres. L’hétérogénéité, dans la mise en place d’une pluralité de sphères narratives notamment, apparaît dans 14 études pour un univers, provoquant, dans des amorces successives de narration, un effet décousu qui paradoxalement, dans la régularité et la récurrence de ses phrases syncopées, trouve logique et sens dans son expérimentation formelle. Variations chrono poursuit sur cet axe des tentatives formelles « un journal sans trace ou une trace qui est potentiellement toutes les années » dans des marquages temporels sinon exhaustifs, réguliers et suffisants pour y reconnaître la forme d’un journal, une tentative de journal. Des éléments de marquage (datation sommaire, jour/mois sans l’année mais horaires précis) structurent la séquence, le journal reposant sur une période de 11 jours (à la suite, avec saut de quelques jours), constituant alors la forme d’un « journal court ».
Une logique formelle se retrouve également dans la composition et l’agencement, au sein de chacune des sections du livre. Ainsi, sept mots en lettres capitales, comme autant de mots-clés, notions, qualités, choses, dans une hétérogénéité grammaticale et lexicale, sont associés, dans Etudes pour une épigramme, à un distique. Si la forme choisie (7 mots-clés suivis d’un distique) est récurrente, faisant système dans la section, les distiques restent sémantiquement déconnectés de leurs mots-clés de référence.
L’hétérogénéité peut relever également des matériaux mis en connexion (une insertion de cartes et de documents iconographiques, lettre également à caractère documentaire et historique dans La fragmentation du diamant, fiche technique d’un véhicule militaire dans une autre section).
Dans une recherche formelle remarquable, l’inventivité typographique retrouve la rigueur de composition. « S’il n’y avait le plaisir typographique
aucune distance ne pourrait être maintenue
l’avenir du poème serait impraticable
: je veux dire ce qu’il s’obstine à taire »
On peut noter en clin d’œil ou écho au livre F.aire L.a F.euille d’Anne Kawala, le « F.aire L.a Mouche » de Michaël Batalla (p. 65).
Au plus près du texte, les éléments graphiques et signes de ponctuation fonctionnent, dans leur mise en place, en adéquation étroite avec les éléments textuels qu’ils servent.
Le signe de ponctuation, et le point en particulier dans Cumulus, participe pleinement au texte et en devient l’élément central. Réitéré, double ou fonctionnant par trois jusqu’à un étirement de points, point-bulle lorsque, marqué en gras, il s’évide, bulles indexées en hauteur, comme à la puissance d’un mot, les formes que prennent le signe de ponctuation sont multiples.
Ainsi des points en oblique encastrant dans son assise l’adverbe de lieu « là », « deux corps » précédés d’un double point, une quantité de points en relation avec une quantité exprimée dans le texte, points du « i » de « irise » venant se joindre aux formes de points qui le précèdent, astérisque de petit format faisant point, point introductif plutôt que de clôture, etc.
Dans la recherche visuelle, le texte, dans ses strates, devient occasionnellement calligramme, circulaire, boucle, pouvant emprunter à l’alphabet grec certaines de ses lettres, fragments indicés à d’autres dans un répertoire élargi des polices typographiques, texte énumératif, formes exponentielles de mots dans un renouvellement incessant des approches graphiques.
Les créations lexicales jalonnent cette multiplication de formes, ainsi, faisant lien, à la jonction d’un paysage poème/ lieu poème, le « topoème » (pouvant faire écho à un précédent livre de Michaël Batalla, Poèmes paysages maintenant), les mots collés (« noiréteint », « commégarée », « je suisétais ») ou encore « feuilles (…) dérangées de frappes. Légèrement tranpolinantes ». Dans l’expérimentation des formes d’écriture, une éclosion visuelle et sonore.