[chronique] Mots d'ordre : poétique sans métaphore [1]

[chronique] Mots d’ordre : poétique sans métaphore [1]

avril 16, 2007
in Category: chroniques, recherches, UNE
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Cette perspective est inscrite d’emblée avec l’exergue qui est une citation de Victor Hugo : “La poésie se superpose toujours à la société”. La poésie entendue par N. Tardy amène à appréhender, à penser le cadre de la vie : le monde en tant qu’il s’approprie la vie, mais non pas selon un enfermement tragique, mais comme le possible d’une intensification de la vie. Produisant les bloc-textes, au lieu de rester dans le mouvement totalitaire des séquences de routine, ce qui conduirait à l’enfermement constaté chez F. Laroze, cela crée une ligne de fuite du texte, même si celle-ci se donne comme simple errance “dans le groupe cohérent d’une bande d’encodés”. Et c’est bien ce qu’il indique dans la page de gauche qui accompagne l’impératif POÉTISEZ : la possibilité d’un rapport au langage qui dans le cadre même constitué de la langue s’échappe de la simple utilisation, car n’étant “pas une production mentale comme les autres”.

Logique du sujet — Parce que cela tourne, le sujet sent vaciller sa propre certitude, quelque chose dans l’oppression de la boucle en poésie, de la récurrence de routines, perfore le mot d’ordre et peut créer la perspective d’une ligne de devenir. Non pas selon une authenticité retrouvée, faudrait-il qu’on l’ait eu un jour, mais selon l’affectation singulière des constituants symboliques qui déterminent le cadre de l’existence. Le sujet s’individualise dans le déterminisme linguistique et symbolique qui lui pré-existe, abandonnant tout horizon idiolectal. Le devenir n’est ni animal, ni minéral, ni, ni, mais il est celui du rythme propre, et de ce qu’infiniment ce rythme peut former comme relation symbolique. Christophe Fiat a eu raison de constituer dans La ritournelle [ed Léo Scheer], le devenir danse de la poésie comme fondamentale. En effet, en tant qu’expérimentateur de la langue, en tant que corps posé dans la langue, dans cette langue-là qui lui préexiste, le poète fait “se mouvoir les corps”. S’il y a appropriation des matériaux linguistiques, sémiotiques de l’intramondanéité, cela est impliqué par le nécessaire mouvement de la vie qui tente, contre toute forme de nécessité stricte, de s’individualiser. S’il y a répétition, ce n’est pas au sens de la rumination, mais de l’usure, de l’usage des matériaux afin que puisse se constituer le rythme de la vie. Jean-Michel Espitallier, écrivant Tractatus logo mecanicus, pose parfaitement comment le sujet va créer son infinie individuation et cela selon un déterminisme logique strict. Avançant par proposition, qui se succède par reprécision, par approfondissement, peu à peu il déclôt la pensée de toute frontière, montrant en quel sens la mécanique de la pensée crée par ses vitesses, par son rapport aux objets et à elle-même, une ouverture infinie. Dans ce texte, si l’humour des jeux de mots est apparent, si la lecture est prise par un incessant rythme, ce qui est véritablement énoncé tient à cette liberté de la pensée, et ceci sans aucune essentialité obscure, sans transcendance aucune, mais selon sa seule machination à penser, selon la mécanique de la pensée qui se dit en mot, qui s’enchaîne dans sa propre énonciation impensée. De ce fait, la mécanique, la boucle, la répétition, si elles peuvent être les outils de la domestication des hommes, de l’emprise linguistico-politique, toutefois, elles peuvent, et Deleuze et Guattari l’avaient parfaitement énoncé, être ouverture de lignes de fuite pour la pensée elle-même, pour la pensée en vue d’elle-même. L’ensemble du Tractatus de J.M Espitallier, décrit cette ligne de fuite. Partant de “1.0 Toute pensée pense” tautologie reposant sur une certitude absolue, pour en arriver selon une expansion absolument logique à “14.0 Un nombre incalculable (difficilement calculable) d’objets n’a pas encore été pensés 14.1 Un nombre incalculable (difficilement calculable) de pensées n’a pas encore été pensé.”; ce qu’il montre c’est de quelle manière le fini déterminé enveloppe en soi l’in[dé]fini ouvert, et ceci sans en passer par une fiction révélante, ou bien sans poser cet infini ouvert comme l’impossible moteur même de la singularité poétique.

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Philippe Boisnard

Co-fondateur de Libr-critique.com et administrateur du site. Publie en revue (JAVA, DOC(K)S, Fusees, Action Poetique, Talkie-Walkie ...). Fait de nombreuses lectures et performances videos/sonores. Vient de paraitre [+]decembre 2006 Anthologie aux editions bleu du ciel, sous la direction d'Henri Deluy. a paraitre : [+] mars 2007 : Pan Cake aux éditions Hermaphrodites.[roman] [+]mars 2007 : 22 avril, livre collectif, sous la direction d'Alain Jugnon, editions Le grand souffle [philosophie politique] [+]mai 2007 : c'est-à-dire, aux éditions L'ane qui butine [poesie] [+] juin 2007 : C.L.O.M (Joel Hubaut), aux éditions Le clou dans le fer [essai ethico-esthétique].

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4 comments

  1. De Campos

    Bel article sur l’usage du slogan ! Cet usage dans la poésie contemporaine est très bien vu. On peut penser également au nouveau livre d’Hubert Lucot.

  2. rédaction

    Je vous remercie de l’appréciation. Je n’ai malheureusement pas encore le livre d’Hubert Lucot, que je chroniquerai dès que je l’aurai.
    Ce qui m’interroge, en approfondissant cette question, tient aux associations de pensées qui sont liées à des poétiques non-métaphoriques. Au sens où justement, comme je tente de le montrer, il y a bien un mode de fonctionnement cognitif qui est du même ordre que celui de la métaphore, même si ce ne sont pas les mêmes zones de mémoires symboliques qui sont réactivées.

  3. De campos

    Oui, j’ai bien compris cette idée, qui me parait intéressante. Il est assez difficile de savoir ce qu’un slogan utilisé en poésie, en littérature, saisit. Effectivement, il y a une désertion de l’image quand on l’énonce, l’imagination ne parvient pas à se dérouler pleinement, ce qui crée un sentiment d’espace un peu oppressant.

  4. De campos

    toute cette réflexion sur l’usage du slogan me fait penser aussi au « 61 messages personnels » publiés (et mis en ligne) par Inventaire/Invention (messages de la résistance). Ce ne sont pas des slogans, mais des phrases affirmatives, qui se suffisent à elles-mêmes, et qui ne font pas vraiment image non plus, tout en faisant réagir une sphère à explorer de la pensée.

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