En cette semaine de grève dans l’Éducation Nationale et de premier tour des élections régionales, le moment est sans doute propice à une réflexion sur la "crise-de-l’énergie-nationale" – à une petite mise au point sur éducation et nation.
On le sait, en bonne tactique politicienne, à l’approche d’un rendez-vous électoral important, il s’agit pour le pouvoir en place de faire diversion : compte tenu du grand tabou socio-économique, tout l’enjeu est de réussir le passage du macroscopique au microscopique ; de masquer le fait social majeur (l’insécurité sociale) et la dictature d’une forme unique/inique de pensée économique (le néo-libéralisme ou "capitalisme sauvage") en centrant les débats sur des "faits de société" et sur les dérives idéologiques propres aux pratiques religieuses.
Nous vivons une crise économique et sociale… c’est bien entendu le moment choisi pour lancer un débat sur l’identité nationale, qui se réduit bien vite aux seuls sujets de l’immigration ou du port de la burka. L’École est en crise… donc, on se focalise sur la violence-à-l’école…
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Notre identité nationale… Mais où voulez-vous, Messieurs les néo-barrésiens, que nous nous enracinions ? Notre identité nationale, Messieurs les néo-libéraux, est-elle de prôner la mondialisation matin, midi et soir ? À l’heure de la mondialisation, Messieurs les néo-libéraux, vous globalisez économiquement… mais qu’attendez-vous pour universaliser humanistement ? (Car, c’est bien connu, universalisme = capitalisme = humanisme). Notre identité nationale… consiste-t-elle à fuir l’avenir pour nous réfugier dans ce miroir-aux-alouettes que constitue le mythe identitaire-originel ?
Notre identité nationale… réside-t-elle dans la résurgence du Ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale ? dans la Françafrique ? dans le commerce des armes ? (fRANCE, mère des armes – amère de ses arts et de ses lois…). Notre identité nationale… réside-t-elle dans l’accession du F. haine au second tour d’une élection nationale-présidentielle ? Notre identité nationale… réside-t-elle dans notre taux de chômage des "jeunes" et des "aînés" ? Notre identité nationale… est-elle d’habiter un pays dans lequel, à cinquante ans, on est décrété "jeune président" (de la République comme de tel ou tel organisme prestigieux), mais décrété trop-vieux-pour-travailler ? Notre identité nationale… réside-t-elle dans la dénationalisation de nos services publics – dans leur transformation en "sévices publics" ? dans le népotisme au plus haut niveau de l’État ? dans le contrôle des médias, quatrième roue du carrosse des dominants ?
Dans ces conditions, notre identité nationale serait-elle de donner des leçons au nom du pays-de-la-haute-culture-et-des-droits-de-l’Homme ?
Et si notre commémonation manquait d’éducation ? Et si la fratrie primait sur la patrie, serions-nous de "mauvais Français" ? Est-ce péché que d’être Sans Identité Nationale (SIN) ?
Par ailleurs, quelle est la plus grande menace pour l’école : le port de la burka ou le déficit éthique dans une société où il n’y a plus que des valeurs marchandes ? la violence ou la logique économique ? Dans l’Éducation Nationale, faut-il renoncer à "l’éducation" au profit de la priorité "nationale" ? Dans l’Éducation nationale, notre identité consiste-t-elle à punir plutôt qu’à instruire ? à faire prévaloir les facteurs de division sur les facteurs de cohésion ? Notre identité nationale réside-t-elle dans la dérive secturitaire ?
Dans l’Éducation Nationale, notre identité consiste-t-elle à valoriser le travail et la morale en dévaluant les diplômes et en réduisant les professeurs au rang d’animateurs culturels ? en choisissant une logique inversée (puisqu’il est plus difficile d’amener les jeunes consommateurs au niveau des examens, amenons les examens à leur niveau) ?
Dans l’Éducation Nationale, notre identité consiste-t-elle à orienter les programmes à-droitement : par exemple, dès la rentrée 2010, en seconde, à substituer au chapitre d’histoire sur l’islam celui sur "l’occident chrétien médiéval" ; à remplacer, en SES (Sciences Economiques et Sociales), les notions de "syndicat" et d’ "inégalités salariales" par celle − des plus floues − d’ "élasticité" ? Ou encore, en Terminale L, à parachuter les Mémoires de De Gaulle dans le corpus des œuvres obligatoires à étudier de 2010 à 2012 (2012, où le cours de Lettres passera de quatre à deux heures hebdomadaires : c’est ce qui s’appelle renforcer efficacement la filière L…) ? Dans l’Éducation Nationale, notre identité est-elle "nationale"… ou "nationaliste" ?
Dans l’Éducation Nationale, espère-t-on améliorer la situation en faisant de l’école un service public prêt-à-consommer ? Allez-y, M’ssieurs-dames, Bac-à-la-carte, options-à-la-carte, profs-à-la-carte, horaires-à-la-carte… Allez-y, M’ssieurs-dames, profitez des soldes, tout doit disparaître !
Dans l’Education Nationale, espère-t-on améliorer la situation par ce genre de formules magiques : plus d’élèves = moins de personnels ? Moins de profs = gain de fonctionnaires-sans-plus-de-gain (= double économie : moins de personnel + personnel qui-travaille-plus-sans-gagner-plus) ?
Notre "identité nationale" consiste-t-elle à préparer l’École de demain en rognant le poids et le pouvoir symboliques d’un professeur réduit au rang de technicien du savoir pratique (Sartre), de travailleur à la chaîne de la copie, de fonctionnaire-qui-doit-fonctionner flexiblement devant des classes pas très laborieuses, mais très nombreuses et parfois dangereuses ? Notre "identité nationale" consiste-t-elle à préparer l’École de demain en développant la rentabilité des usines scolaires, qui devront coûter de moins en moins et produire de plus en plus de diplômés, lesquels n’iront pas gonfler tout de suite les statistiques du chômage puisqu’ils passeront par la case "stage à l’uni-adversité" ?
© Source de la seconde illustration : www.arretsurimages.net/contenu.php
Oui à tout ça, mais ne pas oublier non plus que le plus grand méfait contre l’éducation nationale a été commis lors de la mise en place des IUFM par la brochette Jospin – Allègre – Mérieux, tout ça avec des bons sentiments. Donc si tu critiques, tu es un gros con de réac. La mémoire, c’est pour les cons, la grammaire, c’est pour les cons. Il faut faire du ludique, du non contraignant, il faut varier à l’infini les dispositifs. De plus les profs anciens sont jugés comme dépassés parce qu’ils ne veulent pas de la nouvelle Doxa. On a entendu dans cetains IUFM : » Vivement qu’ils s’en aillent, on sera entre nous. » Résultat : Aujourd’hui, un gamin qui débarque en CP avec peu de lexique ( et tout ce qui va avec ) n’a aucune chance d’aller en seconde, même si le bac ne veut plus rien dire, puisque le vrai bac se passe en première année de fac avec les 50 pour cent d’échec que l’on connaît. En primaire il n’y a pas de cadre. L’enseignement de la langue est tout sauf progressif. Les devoirs à la maison sont hors-la-loi depuis 1956 ( loi réaffirmée en 1994 ). On a choisi en primaire d’enseigner toutes les matières du collège avec pour conséquence la réduction des horaires de Français Math, alors que sans ça, il est impossible de rien comprendre au reste. Qui en pâtit ? Tous les élèves qui proviennent d’un milieu culturel modeste ( qui a souvent à voir avec le milieu économique ). Mais tout ça s’est opéré sous couvert de bonnes paroles qu’on ne peut combattre sans se faire traiter de gros réac ( voir le parallèlle avec la critique impossible du milieu de l’art contemporain ).
Autre résultat : les cas de « dyslexie » créés de toute pièce par le système. Je ne dis pas qu’un meilleur système effacerait come par magie tous les méfaits de l’abrutissement généralisé que nous subissons : de faux philosophes visibles dans les médias, plus de musique contemporaine à la radio, des faux écrivains à foison, les séries et dessins animés hystériques, le remplissage par le bruit et le vide de toutes parts jusqu’à boucher tous les trous de conscience, toutes les cases vides de la pensée en attente, la technologie au service du mercantilisme.
En fait, tout ce qui a été entrepris par les IUFM reproduit l’inanité de la société, la crispation familiale. La mémoire devient externe, nous voyons de moins en moins les parents aux réunions parents-profs. Mais en troisième, ils sont de plus en plus à vouloir que leurs gamins aillent en seconde sinon c’est le déshonneur. De toute façon, c’est eux qui choisissent au final et c’est tant mieux.
La violence à l’école existe, il ne faut pas la cacher. Par contre il faut se demander comment on en est arrivé là. Statistiquement le décrochage s’opère en CE2. A partir de là, il y a de nombreux élèves qui soit commenceront à semer le désordre dans les classes soit s’éteindront tout à fait, se légumisant.
Là-dessus arrive l’UMP de Sarkozy qui nous promet moins de profs, moins de crédits, moins d’options, bref moins de tout. Déjà que tout allait de travers. Je ne reprends pas tout ce tu as fort bien dit. Je souscris.
Voilà ma question : Est-ce que tout ceci relève d’une stratégie préméditée? Si oui, de la part de qui ? Qui travaille dans les ministères et sont indéboulonnables parce que non-élus. Deuxième question : La pensée IUFM a-t-elle été sincère ? Ont-ils été les idiots utiles du néolibéralisme ou est-ce plus machiavélique que ça encore ?
Merci, Yves, pour cette contribution au débat.
Tu soulèves de lourds problèmes qui demanderaient des pages et des pages pour les traiter un peu précisément.
Disons qu’aujourd’hui l’idéologie dominante se développe par lignes de force et de fuite ; et c’est bel et bien parce qu’elle est diffuse – polymorphe car appropriée par chaque acteur du champ – que cette violence symbolique est invisible pour une majorité, transparente parce que « naturelle »…
Par exemple, le modèle économique s’est à ce point imposé dans l’espace scolaire que tous les acteurs, des élèves aux responsables de l’Education Nationale, en passant par les proviseurs, les inspecteurs, ou les parents d’élèves, trouvent tout naturel que l’Ecole doive être « rentable », performante, c’est-à-dire doive produire un maximum de diplômés pour un minimum de doublements et d’échecs, et cela grâce à une main d’oeuvre et des horaires flexibles… et comme de bien entendu, l’École doit formater les futurs CDD de l’Entreprise… et comme de bien entendu, on doit leur inculquer dès le secondaire le fameux « esprit d’entreprise »… et comme de bien entendu, la seule « entreprise » humainement valable est d’ordre économico-commercial…
Le modèle économique s’est donc imposé lentement (en un demi-siècle) dans l’Ecole comme dans la société (d’où la prédominance d’un lexique issu du marketing), grâce notamment à un individualisme qui a peu à peu érodé le tissu social, particularisé les relations des salariés aux pouvoirs en place…
On ne peut donc raisonner en termes de « diabolisation » du pouvoir politico-économique , ni de « stratégie préméditée » des dominants… l’ethos néo-libéral s’est développé et métamorphosé au gré des interactions avec les différentes sphères sociales…
Dans l’Education Nationale, les réalités sont d’autant plus complexes qu’elles sont ambivalentes : par exemple, l’ambition de faire accéder au BAC 80 % d’une classe d’âge peut légitimement être considérée comme hautement démocratique… le problème est que dans le même temps, le pouvoir – de quelque couleur politique qu’il soit – a intérêt à ce que les statistiques évoluent positivement et que le plus possible de jeunes n’aillent pas grossir les rangs des « demandeurs d’emploi »… (et là, on retombe dans le trivial !).
Il peut alors compter sur les changements des programmes et des conditions de recrutement pour à moyen terme régenter des personnels et élèves « adaptés »… et le cirque est des plus vicieux : plus « on » démocratise l’accès au secondaire, et plus on réclame des professeurs « adaptés », c’est-à-dire des « techniciens du savoir pratique » (pas des intellectuels critiques, donc !) qui accepteront de jouer leur rôle d’animateur culturel devant des élèves qui seront d’autant moins poussés vers le haut que les exigences seront moindres et le taux de réussite maximal…
Le pouvoir peut également s’appuyer sur la frange dominée du champ intellectuel : les « as de la pédagogie » – à défaut d’être des as de la philosophie ou des Lettres… Réunis à l’IUFM et dans les instances académiques, ils régissent l’univers de l’enseignement. Et si par mesure économique ces IUFM sont supprimées, qu’à cela ne tienne, on va semer la zizanie à l’université en opposant en master les deux clans ennemis : les forces de la recherche et celles de la didactique…
Bref, le triomphe de ce nouvel ordre ne peut advenir que par ceux qui ont intérêt à ce qu’il existe – tout simplement parce qu’il les fait exister dans le système en leur donnant une place inespérée (ce sont presque toujours les zélateurs et les médiocres qui ont le pouvoir)…
Que d’approximations et même de contre-vérités dans la contribution de YJ ! Si ça peut vous rassurer, sachez que, surtout depuis l’avènement de Sarkozy, le « cadre » en primaire est de plus en plus contraignant (et l’évaluationite galopante qui va avec) et que l’enseignement de la langue y est (comme depuis toujours, d’ailleurs…) progressif mais de plus en plus étouffant, au risque de priver de sens les apprentissages. Quant aux devoirs à la maison, en 25 ans de carrière, j’ai rencontré moins de 10 collègues qui n’en donnaient pas !
Cela dit, que les sureffectifs causés par les fermetures de postes et, surtout, l’abrutissement généralisé via télé & Co fassent des ravages, et d’abord au détriment des élèves les plus en difficulté face à l’école, ça, on est bien d’accord.
PS : Meirieu n’a rien à voir avec l’industrie pharmaceutique.
Merci B. Fern de rebondir. Le « cadre » en primaire peut être de plus en plus contraignant, sans que les heures de français ôtées au profit d’autres savoirs ne soient au final rattrapées. Or il s’avère que pour les enfants qui partent avec un « handicap » langagier, tout est fait pour qu’ils n’aient aucune chance d’arriver en sixième avec des outils dans la main. Ils auront fait de multiples activités en primaire mais il y aura toujours plus d’enfants qui ne sauront pas conjuguer ETRE et AVOIR au présent de l’indicatif à l’entrée du collège. ( je ne parle pas du passé antérieur, polémique incroyable qui a eu cours il n’y a guère ). Ce sont d’ailleurs ces enfants qui n’ont pas la chance d’être poussés à la maison et qui en général ne font pas leurs devoirs. Je ne connais pas d’ailleurs d’enfant qui fait naturellement ses devoirs sans y être poussé. Si on y ajoute à ça la haine du « par coeur » orchestrée par les pédagogues, il faut bien arriver au constat que le cadre éducatif reproduit fidèlement la société dans laquelle il s’inscrit.
Je vous avoue que je ne m’intéresse pas vraiment aux querelles de programmes, mais plutôt à ce que l’élève retient effectivement. Quand un instituteur s’enthousiasme parce qu’il emmène ses élèves au musée, je ne peux m’empêcher de questionner ces mêmes élèves en sixième sur ce qu’ils ont conservé en mémoire de leur visite. Je remarque qu’il ne reste rien. Est-ce étonnant ?
Je pense qu’il y a eu inversion totale des valeurs et qu’il faut en prendre acte. Ce ne sont pas les « pédagogues » qui représentent le « progressisme » aujourd’hui. au contraire ce courant a participé à creuser les écarts.
Je n’ai rien contre le fait d’évaluer les élèves si seulement cela servait à quelque chose, à proposer un soutien ciblé par exemple. Or ceci n’a jamais été le cas. Personne ne sait à quoi ont servi les évaluations de sixième menées pendant 10 ans et déplacées aujourd’hui, je crois, en CM2. En tout cas le fait qu’elles aient été déplacées interdira toute comparaison possible.
Je pense qu’il y a des schémas anciens à dépasser et que la manipulation des masses est devenue extrêmement intelligente.
Vouloir opposer ce qui se fait aujourd’hui à ce qui s’est fait depuis 15 ans relève de la pure entourloupe. Maintenant que lécole a été sabotée de fond en comble, la droite peut avancer ses pions de manière non voilée. Je m’étonne qu’elle le fasse d’ailleurs. Plus intelligent et moins polémique était de laisser faire puisque tout va dans le même sens.
A propros, Bruno, de l’enseignement de la langue « étouffant », je ne suis pas du tout d’accord avec vous. Je ne suis pas sûr que l’on puisse s’amuser aux échecs sans avoir peiné à comprendre les règles auparavant.
Au moins trois surprises (de taille) dans votre réponse :
* « Je ne connais pas d’ailleurs d’enfant qui fait naturellement ses devoirs sans y être poussé. » – il en existe pourtant, heureusement !
* « la haine du « par coeur » orchestrée par les pédagogues » – par les imbéciles, plutôt, ce qui n’est pas exactement la même chose.
* « Maintenant que l’école a été sabotée de fond en comble [par ceux que vous désignez comme les « pédagogues », je suppose], la droite peut avancer ses pions de manière non voilée. » – logique difficile à suivre, étant donné que le discours anti-pédagogique domine justement à droite…
Merci à tous deux d’avoir fait part de votre expérience.
Ce qui est certain :
* dans le primaire, l' »observation de la langue » (vague fourre-tout) vient d’être remplacée par une étude plus approfondie de la grammaire française ;
* le taux d’illettrisme lors de l’entrée en 6e reste préoccupant ;
* je me souviens d’un intelligent article critique de Meirieu dans LE MONDE, qui s’attaquait à la dérive consumériste dans l’Ecole contemporaine…
Reste que tous les « démagos » qui ont un moment prétendu « replacer l’élève au centre du système scolaire » (= baisse des exigences, mise en place d’un « service public », démission face aux parents-clients, attaque contre l’autorité d’un maître auquel officiellement on ne demande plus beaucoup de passion ou de savoirs,
mais du savoir-faire) ont leur part de responsabilité…