Jean-Pierre Faye, Analogues, Notes de Nuit éditions, mai 2015, 271 pages, 21 €, ISBN : 979-10-93176-04-8. [Première parution : Seuil, 1964, coll. "Tel quel"]
Jean-Pierre Faye a établi une opération d’élargissement de la fiction sous le titre de « récit autocritique » qui prend sa source sur trois textes antérieurs de l’écrivain. Ce texte s’inscrit sous l’incipit d’Emile Littré : " On donne le nom d’analogues à des organes qui, sans avoir la même forme dans divers animaux offrent les mêmes connexions avec les organes voisins". Son texte devient l’ajointement de sa triple racine sans décider de le fermer lorsque le texte se termine ou plutôt reste en « suspens ». Le livre ne « décide » donc pas vraiment : néanmoins – à travers des personnages féminins et des fragments de leur histoire -, certaines décisions amoureuses et politiques sont implicitement esquissées là où la narration propre au roman du réel se trouve soumis à un décrochement. L’historique du monde tel qu’il est habituellement filé se trouve soudain cassé.
Surgit une sorte de diagnostic de l’impossibilité à la fois du roman et de l’histoire ou plutôt leur mise en crise. Des fragments (descriptions, évocations, scènes dialoguées) surgit une paradoxale pulsion épique d’un genre inédit. Elle détruit l’intension classique de l’écriture et comme son récit du monde. La « marche » proposée transforme la narration afin que la représentation du monde interne et celle du monde extérieur se constituent parallèlement en avançant selon une « marche » particulière.
Contre les fadasseries romanesques s’interpose une prose en liberté : elle n’est pas là pour rythmer l’action mais pour la devancer. Faye propose donc un pas au delà à la fiction selon un matérialiste qui n’exclut pas au besoin une forme érotique du romantisme. La fiction est comme donnée et refusée dans la fracture de la dimension politique du monde telle que les idéologies en place la produisent.
Le « récit autocritique » devient exploratoire, il excède le roman ou ce qui est considéré comme roman depuis ses premiers temps. Le récit devient le genre de l’agitation où la masse de la langue est présente, alertée scandée de manière à ce que l’histoire non se poursuive mais soit reprise selon un nouvel angle littéraire. D’une certaine manière, l’histoire de la fiction recommence. L’avancée s’ouvre en taillant son chemin à partir de ce qui a été dit ou écrit même dans les livres premiers de Faye – même si le texte reste sans précédence.
L’engrangement brique par brique, fragment par fragment, bâtit une maison de sens qui traverse la narration en faisant abstraction de tout ce qui pourrait être le discours. Un nouveau béhaviourisme suit son cours. Il ne construit pas de maison, il n’est qu’un hall d’entrée, une suite de halls d’entrée d’où à chaque instant le lecteur peut ressortir pour revenir plus tard au cœur de l’agitation du langage – elle ne « plie » pas le texte en direction d’un but mais pour l’éclosion d’un sens que l’idéologie et l’esthétique en place oblitèrent.