Pascale Bouhénic, Lorsqu’il fut de retour enfin, Gallimard, "L’Arbalète", février 2017, 144 pages, 17 €, ISBN : 978-2-07-013248-5.
Le retour de l’infâme ne produit pas forcément des retours de flamme. Du moins pas ceux que les partenaires de cette nouvelle Odyssée attendaient. Il est vrai que les temps ont bien changé depuis Homère. Les Pénélope qui font l’actualité aiment plus l’argent que le tricot. Quant à celle de Pascale Bouhénic, elle n’a rien d’une starlette au haras, même si elle dut un temps ronger son frein ayant perdu une des jambes qu’Ulysse avait tenues.
Désormais elle va le nez en l’air et sent la menthe aquatique, « odeur sourde et suave de marais qui entraîne comme un tourbillon ». Mais dans ce roman humide, Paris n’a plus rien d’un Marais cage. L’héroïne n’est en rien volage, ses amours ne partent pas en poussière. Elle recouvre ses meubles et lorsqu’Ulysse revient, la narratrice s’empresse au ménage. Mais retirer sa pellicule revient déjà à casser l’équilibre que l’absence a installé.
Ulysse reste un bel homme, plus beau qu’avant peut être, tout pourrait donc être parfait. D’autant que la nuit de re-noce – pudiquement esquivée – a pu être au top. Mais il n’est pas jusqu’au chien à devenir nerveux comme jamais face à ce héros apathique, voire indécrottable feignant. Face à lui l’ex-unijambiste, couverte de bijoux ostentatoires, ne tourne plus irrévocablement sur elle-même. Retrouvant une marche aisée, l’impotente devient omnipotente. Mais pour autant n’en fait jamais état. Et ne cherche pas forcément un changement de pécore.
Dans ce roman aqueux qui ignore l’eau de rose, la marche forcée des amours du passé dépassé devient un mythe mité au sein de la fable des jours. L’héroïne est devenue marcheuse, nageuse aile. Partagée en jambes, elle a changé de corps. Maîtresse de ses mots, ils occupent l’espace que l’égaré avait un temps bétonné. Souple sous son t-shirt, elle marche, non en lui mais en elle. Elle laisse passer les voitures et les touristes qui visitent Paris du côté de Iéna.
Jaillissent la ville, le corps, l’anneau de l’écriture plus que celui des bijoux qui la ravirent. Elle ne dit pas que le bas des mots ou leur haut. Là où le bas blesse. Elle dit, se dit, s’imagine, se devient. Elle « voit » enfin les autres, songe même à leur parler. Les quais s’allongent pour elle. Qu’importe si l’eau avant était plus claire : qu’elle soit devenue « marronnasse » n’est qu’un détail. D’une certaine manière elle y voit plus clair et aime à jouer les faussement naïves pour enjôler les lecteurs qui liront son histoire.
Ulysse est revenu mais est-il encore ici ? Laissons au lecteur le plaisir de découvrir ce que proposent les amours défuntes et celui des feintes. Au moment tant attendu où la réapparition était prévu ainsi : « ce ne sera pas qu’une image cette fois mais un événement », tout devient plus agaçant que prévu. Mais la narratrice n’est pas de celle qui juge : elle constate. Elle trouve naturellement le bon geste, agit, sort dans les avenues face à celui qui en dépit de son retour est l’a-venu. Reste désormais le temps de l’écriture, histoire d’achever le topos, la topologie, la carte du tendre, la conduite que le temps a appris à tenir.
Après l’excellent Boxing Parade, Pascale Bouhénic récidive. Mais ici plus besoin d’uppercut, devenu élastique, le temps n’est plus compté de 1 à Out. La réalité n’en perd pas pour autant sa substance, sa solidité, sa constante. L’écriture y trouve une belle santé faite d’humour toujours en demi-teinte. Nul apparat mais œuvre de discrétion. Ce qui est encore plus drôle et impertinent. Par ses perturbations, la narratrice crée un bel effet de trouble. Il n’y aura pas de reniement de Saint Pierre. Et d’Assomption pas plus. Juste le trou laissé par l’absence. Y vaque désormais non une tricoteuse mais la trotteuse. L’immobile redevient mobile sans mobile apparent ou presque (le presque est important). Ce qui n’empêche pas au discours comme à la vie de se poursuivre. Habile. Et sacrément efficace.
Pingback: Comment remplir un verre brisé avec Pascale Bouhénic – Femmes de lettres