Paul Fournel, Faire Guignol, P.O.L, Paris, février 2019, 272 pages, 19,50 €, ISBN : 978-2-8180-2082-1.
Dans sa saga du « Père Mourguet » – inventeur du théâtre populaire lyonnais de Guignol – Fournel fait preuve de l’acidité et de la puissance de la vis comica d’une prose poétique. Elle illuste, en un discours amoureux, une entreprise populaire par excellence et créée à l’origine pour effrayer le bourgeois en donnant la parole aux sans classes. Elle se « dit » dans la voix, le souffle et la gouaille des Canuts.
Fournel invente une écriture qui malaxe, engorge, gêne la fluidité facile et déréalisée du « bon goût » pour redonner vie à un créateur dont l’histoire n’a retenu que bien peu de choses. L’auteur en comble les vides en faisant preuve d’imagination. Il lutte dans son texte contre l’asphyxie de la langue et du spectacle que l’usage officiel pollue.
En parfait oulipien il ne sombre jamais dans un corpus mélancolique. Il fait vivre la sensation des langues « dangereuses » du populo – celles qui échappent aux formes répertoriées. Touché par son personnage, Fournel montre combien – ouvert à perte-pied sur la rumeur des « petits » pulvérisés par la culture officielle – Mourguet échappa aux règles du puritanisme lyonnais en offrant son gai savoir.
La fiction engage ici une course de vitesse contre l’oubli d’un genre qui survit encore ça et là. Existe dans ce livre avant tout de la voix. Elle rapproche du monde des faubourgs et des foires où Mourguet inventa un souffle impur, désaccordé, déformé. Il rendit compte d’un monde informulé où comme écrivait Lacan « ça parle, ça jouit, et ça sait rien ». Mais où s’apprit néanmoins une irrévérence notoire.