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1984
Après Presque tout (2002), Christian Prigent poursuit son entreprise de réinvestigation de l’oeuvre avec la réédition d’un roman en vers paru en 1984 dans la collection du Cheval d’Attaque que dirigeait le collectif TXT. En cette année cruciale, peu avant sa collaboration déterminante avec P.O.L (1989), à 39 ans, le poète-essayiste livre ses premiers textes majeurs : une autodiction alteridentitaire qui est aussi un carnavalar’ poétique (Journal de l’oeuvide, Carte blanche), une poétique de la lecture publique qui pose la voix obscène de l’écrit comme « malaise dans la vocalisation » (« La Voix-de-l’écrit », TXT, n° 17) et cette « encyclopédie critique en farce de l’échec sexuel » (quatrième de couverture) qui s’avère capitale, du fait qu’elle « pornograffite le malaise de la langue, dans la langue », pour reprendre une formule de Salut les anciens (P.O.L, 2000) – dont, au reste, elle illustre parfaitement l’assertion suivante : « Ce n’est que dans la fiction (la poésie) qu’on peut dépasser la fiction qu’on veut nous faire prendre pour le réel » -, et que, selon Éric Clémens, elle constitue « une condensation révélatrice des textes antérieurs » (TXT, n° 18, 1985). Et l’écrivain-critique, membre de la rédaction de TXT depuis 1971, de présenter précisément ce « chef-d’oeuvre » : « Texte construit (prologue – histoire des actions – épilogue), logique (le ratage sexuel provoque le meurtre), stylisé (les « refrains idiots, rythmes naïfs » à la Rimbaud créent les ob-scènes du peep-show), carnavalesque (trou se tourne en farce), il donne le vertige : renverse le roman (tout roman est familial et prosaïque, celui-ci l’est à l’ « en vers ») et la poésie (toute poésie est vision d’amour et le peep-show la montre dans son actualité marchande, le non-rapport sexuel à travers la vitre qui procure, à bas prix, la femme comme fantasme réalisé). Les métriques assassines asymétrisent ces positions respectives, le miroir est cassé dans la langue ».
Pornographie et tératographie
Vu que l’intervalle entre les deux parutions permet aux lecteurs comme à l’auteur une mise en perspective de l’oeuvre déjà faite (et cette notion d’ « oeuvre » n’a de sens, rappelons-le, que si elle intègre textes, épitextes et réception des textes), il convient de relire également Peep-show à la lumière de deux articles que Prigent a publiés en 1992 et 2001 : « Rien à voir (Sur la pornographie) » (1) et « Qui baise qui ? » (2).
Le premier souligne le paradoxe d’un excès pornographique qui ne donne accès à rien : Qu’y a-t-il d’autre à voir que la compulsive répétition du même ? Cependant, quoique l’exhibition des sexes ne débouche sur rien d’autre que l’exténuation du voir, pour le poète, la pornographie vaut au moins par sa remise en question de nos codes éthiques et esthétiques. Mais surtout, il défend une écriture pornographique comme évidement du corps et du corps discursif des sociétés, comme langue sub-liminale, c’est-à-dire « limite abjecte »; une écriture au couteau qui déchire la chair des langues constituées pour en révéler le « fond pornographique »; et, en fin de compte, une écriture carnavalesque « qui détourne la pornographie et l’obsession sexuelle en jetant la langue dans un jeu de déprédations sarcastiques et burlesques » – qui, traitant la langue comme matériau, fait prévaloir le sémiotique sur le symbolique.
(1) Réponse à une enquête des Lettres françaises reprise dans TXT, n° 29-30, 1984, et, sous une forme légèrement différente, dans Rien qui porte un nom, Cadex, 1996 (« Comment faire voir le rien-à-voir », pp.67-73).
(2) Fusées, n°5, 2001; repris dans L’Incontenable, P.O.L, 2004, pp. 245-253.
textes majeurs de christian prigent avant 1984 : l’main, power/powder, oeuf-glotte (organon au complet). AU MOINS. juste pour dire que des textes majeurs de prigent, il y en a eu avant peep-show (texte majeur) et les 39 ans de l’auteur… ça m’étonne un peu que fabrice thumerel, spécialiste de christian prigent si j’ai bien compris, puisse écrire ça. mais j’attends avec impatience son livre sur la trajectoire de prigent toute entière.
Oui, il faut comprendre que dans la trajectoire de Prigent et la réception de son oeuvre, les textes des années 80 sont déterminants – ce qui ne veut pas dire que les textes précédents ne comptent pas. Pour le volume sur l’ensemble de son oeuvre, il y a encore du pain sur la planche, mais cela avance… Dans l’attente, RV en septembre pour un article sur DEMAIN JE MEURS (au sein d’une nouvelle rubrique : « Territoires du romanesque / cartographie du roman contemporain »).