Après la parution de O L’AN (Atelier de l’Agneau, 2011), tandis que ses machineries poétiques complexes publiées en revues ou en ligne ont été remarquées, Philippe Jaffeux consacre sa nouvelle maquette à la lettre N.
Philippe JAFFEUX, N L’E N IEMe, Trace(s) / Passage d’encre, printemps 2013, 36 pages, 14 €, ISBN : 978-2-35855-077-2.
N de Philippe Jaffeux est une section de son Alphabet publiée en mars 2013 qui rassemble 26 textes intitulés chacun par le nom d’une lettre suivant l’ordre alphabétique. Le décryptage des contraintes mises en place par l’auteur conduit, dans l’élucidation du texte, à révéler sont travail considérable d’expérimentation et de construction formelle.
Les textes numérotés par des lettres elles-mêmes dotées d’un exposant mathématique, élevées à une puissance n, se structurent en référence à un champ géométrique dont la figure du carré, dans ses dimensions réitérées (textes carrés de 14 cm), assujettit le texte aux contraintes de ses mesures. « La mise e n exposa n t d’une po n ctuatio n multiplie u n e lettre par elle-même ava n t de m’i n tégrer à l’opératio n d’u n e puissa n ce typographique » (premier texte de N).
Si lettres et chiffres sont étroitement associés d’emblée dans les intitulés des textes, lettres, signes graphiques (marques de ponctuation) et mathématiques le paraissent également. Ainsi la dernière lettre, dans le premier texte, clôturant chacune des phrases, se trouve élevée en indice sous forme d’un exposant mathématique, d’une puissance et faisant office de point. Cet indice ponctuant, au fur et à mesure des textes, surélève un nombre de plus en plus important de fins de mots (deux lettres dans le deuxième texte, puis trois dans le troisième, etc.) jusqu’à des segments de phrases, dans l’avancement des textes, laissant paraître, sur l’espace de la page, différents niveaux de lignes d’écriture (dans une police plus fine et des légers tracés) lors des terminaisons de phrases. Ces décalages graphiques s’accentuent dans la suite des textes, chargeant davantage visuellement le texte et ce brouillage altérant la linéarité, en complexifie l’ensemble, le posant comme objet visuel, questionnant ainsi les marques d’écriture dans leurs expérimentations. La construction rigoureuse du texte s’élabore à partir de nombres clés : 26 (26 textes autant que les lettres composant l’alphabet), 33 (nombre de lignes composant chacun des carrés), 14 (N étant la quatorzième lettre de l’alphabet, également la mesure des côtés des textes carrés), 196 (superficie totale des carrés, 196 lettres n dans un carré). Le texte martèle ces nombres clés dans un discours percutant, en boucle. La lettre N, titre du livre, fait l’objet d’un traitement graphique particulier, séparée, dans un écart avec les autres lettres l’environnant, espaces blancs provoquant par endroit le resserrement des mots de la phrase, dans un effet de collage irrégulier ou lettre N dissipée afin de la marquer davantage encore, effacée, dans la dernière phrase clôturant l’ensemble des textes, autant de marques trébuchantes d’une écriture redéployant la question du rythme ainsi que celle du texte dans son approche visuelle. Les réitérations lexicales qui jalonnent les textes, outre les référents mathématiques, sont celles de l’écriture contemporaine dans sa matérialité (encre, clavier, ordinateur). N s’inscrit ainsi dans une histoire poétique interrogeant les codes de la langue et le renouvellement des formes, dans un agencement de blocs textuels dont la géométrie interroge le carré. « Pour son modèle de clarté et simplicité. Ou parce que l’informe (inquiétude) est contrecarré par ses quatre côtés » (Jean-René Lassalle, Le poème carré : formes et langages).