[Chronique] Poésie et système poétique. Lettre ouverte de Mathieu Brosseau

[Chronique] Poésie et système poétique. Lettre ouverte de Mathieu Brosseau

janvier 26, 2012
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Des dadaïstes à Christian Prigent, en passant par Denis Roche, les (re)mises en question(s) de la poésie et du microcosme poétique n’ont pas manqué. Dans À quoi bon encore des poètes ? (P.O.L, 1996), Christian Prigent va jusqu’à parler de “corporation”, laquelle “souffre d’un double complexe : un de supériorité (la roborative vanité d’être affairé à polir la perle des pensées au cœur d’un monde mercantile et histrionesque) ; et un d’infériorité : le sombre sentiment d’une déchéance, d’une clochardisation intellectuelle, d’un tournis en rond dans l’échange quasi inaudible des revues à cinquante lecteurs, des opuscules voués à la nécrophagie bibliophilique et des lectures accablantes d’ennui devant quelques amis venus à charge de revanche” (p. 49). Pour sa part, dans une lettre ouverte envoyée après huit mois de retrait silencieux, Mathieu Brosseau revient sur l’imposture qu’il y a aujourd’hui à se dire “poète” et souligne la sclérose qui frappe le milieu poétique. Parce que, loin de toute vaine polémique, le point de vue de celui qui a si souvent fait la Une de notre site s’articule à une expérience singulière et soulève de saines interrogations, Libr-critique se devait de le publier. Si l’on ne peut évidemment prétendre que la desillusio (Bourdieu) débouche infailliblement sur une vérité objective, cette sortie du jeu a au moins le mérite de favoriser une prise de position qui ne manque pas d’authenticité. /FT/

Cher ami,

Pardonne-moi de n’avoir donné guère de nouvelles ces derniers temps mais, comme tu le sais, j’ai traversé des moments difficiles. Ceux-ci ont affecté le trajet intellectuel que je croyais être le mien. Car tout trajet est à l’épreuve de la seule volonté, n’est-ce pas ? Depuis fin mai 2011 je suis en guerre contre des systèmes. Contre ceux qui me racontaient jusqu’alors. Je me suis décidé à haïr tout ce qui tourne et incessamment refait surface. Y compris, les nobles ambitions casse-dogmes qui étaient les miennes.

J’ai donc commencé par mettre un terme à certaines de mes graves addictions, celles qui me permettaient de me croire aussi libre que libéré – voire libérateur.

Enfin, j’ai pris en dégoût le système du milieu de la poésie contemporaine ainsi que sa mythologie.

Toute son ambition, sa fermeture et son quant-à-soi. Je ne suis pas un ambitieux, cher ami, et je vomis l’entre-soi des soirées poétiques. De salons en lectures institutionnelles, de dîners intéressés en beuveries du mal-être, toutes et tous se conjuguent pour croire et faire croire que la création est un enjeu aussi spirituel que social et partant, font de leur écriture un espace partageable, où les parties seraient à comparer, un spectacle en somme ! Une mise en résonance des priorités de chacun afin qu’apparaissent au mieux les singularités de tous.

Et qui gesticulera le plus sur scène, gesticulera le mieux ! Et qui aura la voix qui porte fera autorité sur l’esprit. Une représentation donnant leur réalité aux désirs. Leur fiction aux inquiets sans histoire.

Par ailleurs, nombre de poètes se plaignent de n’avoir ni auditeur ni lecteur ! Que le roman qui raconte a pris la place du poème qui suggère. Que le récit a pris tout l’espace de la lecture quand l’éditeur est là pour proposer au plus grand nombre une sublimation de la vie propre en proposant des fictions impropres (c’est à dire qui n’appartiennent à personne en particulier et donc à tous).

Je rejette aujourd’hui toute forme de reconnaissance personnelle et narcissique par l’écriture. Cela ne m’intéresse pas. Et, je ne supporte plus les systèmes littéraires dans lesquels je me trouvais auparavant enfermé. Les systèmes spirituels, voire stylistiques ou sémantiques à l’intérieur desquels je faisais du même sur le même. Je tournais, tournais. A vouloir fuir, on se retrouve malgré tout, soi-même, partout et où qu’on aille. C’est le poids de l’os, tu ne crois pas ?

Je n’ai pas écrit une seule ligne depuis fin mai 2011. J’ai refusé toutes les lectures publiques qu’on m’a proposées. Et les rencontres – réelles ou imaginées – avec des écrivains me fatiguent. Ne nous mentons en rien : l’époque n’est plus à la poésie ni aux poètes. N’appartenons plus aux systèmes poussiéreux, ceux qui nous font traverser des territoires déjà conquis ! Et, par avance, j’ai pitié de ceux qui s’en diront les propriétaires ! Quiconque se réclamant ouvertement poète est pour moi un imposteur.

Surtout lorsque celui-ci s’inscrit socialement comme tel. Ces poètes officiels s’investissent dans un système comme ils pourraient ouvrir un compte en banque. De la poésie, ils font leur profession. Ils s’inscrivent au monde et s’interrogent sur un mode d’habitation de celui-ci. Et ils parlent de langue et de fracture mallarméenne. Et ils ressassent. Il n’y a pas eu d’avancée depuis trop longtemps, ni sur le plan théorique ni sur le plan esthétique.

Et tu vois, cher ami, je me sens trop faible pour appréhender tantôt ce désert, tantôt ces impostures. Alors, j’essaie de ne pas y penser trop. C’est pourquoi, je n’ai plus donné de nouvelle ces derniers mois.

Reviendrai-je un jour en écriture ? Certainement. Continuerai-je à publier sur Plexus-S ? Sans doute car je ne renie aucunement les étapes passées même si j’en dénonce l’esprit. Je ferai mémoire. Et je donnerai encore place aux voix équivoques, celles qui ne se servent pas du texte pour prouver leur ambition ou tracer leur trajet ! Car, répétons-le, tout trajet est à l’épreuve de la seule volonté et le seul destin qui soit est celui du système clos des langues.

En tous les cas, je ne reviendrai jamais en littérature, en ce sens où je ne participerai plus à la société des littérateurs, si sensible aux mouvements de modes. Je ne crois pas en leur fiction, inscrite dans une démarche ET dans un temps.

Les littérateurs se trompent et c’est une frénésie libidinale – immédiate – qui guide leur stylo. Leur reflet, là dans le miroir, les émoustille. Ils se plaisent à eux-mêmes.

Alors, les systèmes, les addictions rassurantes, les lectures publiques, les ambitions, la communauté d’intérêts intellectuels, les psychotropes, les retours d’ascenseur, mimétisme et échange de bons procédés, le narcissisme (défaut si bien toléré en société ! puisque chacun a ses intérêts personnels à préserver), tout cela, vraiment ce n’est plus pour moi.

Tu sais, vers 16 ans, j’ai rencontré puis côtoyé un groupe de jeunes gens, presque de mon âge, au pouvoir de persuasion intense, aux traits marqués par une révolte qui ne disait pas encore son nom.

Ils se disaient poètes eux aussi ! Mais je leur ai pardonnés depuis tant le fantasme de la transfiguration poétique habite la jeunesse. Ils représentaient aussi pour moi le désir de révolution mentale perpétuelle, le souhait d’un refus d’être et d’un soi à muter sans cesse, en vue de se libérer des systèmes. Or la révolte est aussi un système en soi qui a ses codes et ses lois, tu le sais bien.

De cette rencontre, j’ai théorisé et mis en pratique l’identité mouvante et fuyante, par conséquent indéfinissable. Une transpersonnalité, en quelque sorte. Or qu’y a-t-il de plus instable et destructeur psychiquement au final que ceci ? Dès que j’étais, ou prenais conscience d’un système me définissant, je l’invalidais de suite, prenant une posture nouvelle, pas encore expérimentée par moi. Une suite de masques façonnait alors ma personnalité censurée.

Je n’ai plus jamais revu ces jeunes gens. Je n’en ai pas pour autant été libéré du sillage, le leur, dans lequel ils m’avaient placé.

Puis j’ai tenté d’investir le champ poétique contemporain en veillant à me placer hors-cadre. Sans doute, et je le reconnais aujourd’hui, dans une visée narcissique masturbatoire.

Tu sais bien, cher ami, que l’incarnation de l’ailleurs est éphémère. Et n’a qu’un temps. Aussi, bien sûr étais-je dans l’erreur. La même erreur de celui qui pense pouvoir rendre captif – pour de bon – ce qui n’a pas encore été formulé, ce qui n’est pas encore advenu.

En ce sens, j’ai voulu, un moment, être frère de ceux qui tentent d’attraper l’inénarrable. De ceux qui coulent l’expression de l’être dans un processus esthétisant qui raconte ce qui se dit avant le récit, avant l’histoire, précisément avant ce qui m’était auparavant intolérable : la définition et ce qui fait mémoire.

Aussi, me suis-je noyé dans les addictions pour oublier ce qui me formulait. Et tu le sais bien, je me tuais et me violais, j’asphyxiais tout ce qui pouvait me donner nom. Je me tranchais les bras, je parasitais ma parole par des associations délétères. Dans la terreur absolue, sans doute, d’assumer mon propre être-au-monde, mon être-là qui demeurait pourtant l’évidence.

Ainsi, j’ai admiré les fous, ceux que l’on dit fous, croyant qu’ils étaient les libres, les seuls insoumis d’un système de reconnaissance social que je rejetais. Et je me suis mis à croire que j’étais comme eux, déstructuré, au point d’arriver à casser les dogmes, passant par l’informulé. Renouvelant la formule magique précédant la structure de tout récit.

Et grand fou que je croyais être, je suis passé d’éditeur en éditeur, souhaitant être lu par le plus large public. Je leur proposais ma belle parole, celle qui se voulait précéder l’histoire, être la pré-formule de toute narration mais qui, in fine, ne consistait qu’en l’accouchement d’une non-définition de soi !

D’une souris, puis-je dire aujourd’hui, car je n’ai rien d’un fou ! Les médecins m’ont cru autant que j’y ai cru ! Ils ont donné raison à la fiction dans laquelle je m’inscrivais. Et, vois-tu cher ami, faisant cela et participant indirectement à ma poétique, alors en phase d’avortement, ils favorisaient justement ce que je refusais : ils me donnaient définition et m’offraient la possibilité d’avoir une figure sociale !

Validant ma proposition, mon fantasme de folie, ils m’ont apporté sans le savoir ma propre contradiction. Je devenais le fou du système social que j’avais moi-même fantasmé. Je devenais l’inconnu dans l’équation, c’est-à-dire celui qui est à trouver et par voie de conséquence, à tuer !

J’étais alors piégé et pour unique trésor de guerre demeuraient mes quelques poèmes, mes quelques pages qui, en quelques moments de grâce déliés, avaient été façonnés par un esprit sincèrement obsédé par sa liberté mais qui, à force de se débattre, était plus que jamais étreint par le langage du temps, celui qui nomme.

Et je me suis ainsi lassé.

Oui, las de ce petit jeu, j’ai compris que s’il y avait poésie, elle se devait d’être sans témoin.

Mes remarques concernant le champ poétique contemporain émanent de cette simple idée : je vois parmi les écritures d’aujourd’hui de vaines tentatives de se ressentir singulier au sein du brouillard du multiple. C’est au stade du miroir qu’ils se trouvent, les poètes, tous imbriqués qu’ils sont les uns dans les autres, sans même parvenir à se voir entre eux ! Et sitôt qu’ils se découvrent quelques différences, ils revendiquent la forme trouvée, ce qui les distingue des autres, leur « style » dit-on, comme on placerait en haut des tours, le pavillon et ses armures…

Alors, dans toute cette confusion des soi et des inspirations, des revenances et des généalogies, il s’agit pour ces poètes de se déterminer, c’est-à-dire de prendre position en fonction des autres et de leur stratégie. Cela, tout en se déclarant libres et sans attache. Or, comme disait l’autre, qui agit contre, agit selon. N’es-tu pas d’accord ?

En outre, comment se singulariser dans un milieu qui n’intéresse personne et ce faisant augmente la vitalité narcissique du plus grand nombre ?

Pour ma part et suite au seul constat que je me devais d’être dans un seul corps et dans un seul temps, que je n’ai pas choisis (là réside la première déception de l’enfant qui se veut tout-puissant), j’ai préféré m’inscrire dans le simple système que me proposent les jalons de mon histoire et la langue qui me permet de la dire.

Ce système est simple, je le refusais naguère mais il m’offre aujourd’hui la possibilité de vivre à partir des blessures que je me suis faites au temps où je me refusais encore à cette évidence absurde : nous ne sommes là que pour un temps, une lettre nous habite, ici, c’est le moment de baisser les armes et d’entrevoir l’idée d’une mort heureuse. De se lier à elle, de sorte de se libérer des peurs du vivre et des duels intra-système provoqués par l’illusion d’une langue qui aurait le pouvoir de s’affranchir de la vie elle-même.

Faisons donc la paix en-soi et entre-soi car tout cela n’était que fiction et qu’advienne le temps non-littéraire d’un renouvellement du système spirituel que nous incarnons ici et ceci à partir d’un autre système, d’un nouveau complexe encore inconnu aujourd’hui.

Mon rejet actuel de toute poétique mystificatrice, de celle qui donne leur nom aux histoires personnelles et aux postures sociales, ne doit en aucun cas te faire penser que je renonce à mes véritables amitiés.

Mathieu

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rédaction

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10 comments

  1. Patrick Varetz

    Cher Mathieu,

    Votre texte me bouleverse. Je veux croire — au contraire de vous et pour reprendre vos propres mots — à l’illusion d’une langue qui aurait le pouvoir de s’affranchir de la vie elle-même. Et je vous invite, avec moi, à ne pas renoncer à ce pari pascalien. Nous avons plus à gagner en pariant que la poésie a encore son mot à dire, que le contraire. Ce n’est pas qu’un jeu d’ego : en tout cas, j’entends l’entendre ainsi. Je suis heureux, chaque jour, de découvrir — et parfois de rencontrer — de nouveaux poètes. J’ignore, comme vous, le dogmatisme. Et je trouve mon bonheur aussi bien chez Bertin que chez Etienne, chez Ch’vavar que chez Cliff, chez Giorno que chez Jouet, chez Quelen que chez Pennequin, Chez Olson que chez Tarkos… Pour citer ceux qui me viennent à l’esprit. Tous, ils me donnent la foi de pratiquer chaque jour, à ma façon, cet art de la contrainte et de la libération. Il faut le faire, c’est tout. Travailler, surtout quand — comme vous — on semble être fait pour ça (je vous ai très peu lu, à ce jour, mais suffisamment pour vous inviter à ne pas renoncer). Je vous embrasse. PV

  2. André GACHE

    Bonjour ,,, et merci d’avoir publié cet émouvant post intégralement. J’avais apprécié les autres publication de Mathieu Brosseau et je lui souhaite en effet de se retrouver.

    A vrai dire, je partage complètement son dégoût du milieu et de ces pratiques contaminées par l’idéologie ultra-libérale du « sauve-qui-peut-sa-peau » au point de faire de chacun un ennemi pour chacun. Etat d’esprit qui m’est venu à la suite de multiples bévues, notamment avec les « petits éditeurs-auteurs » qui, au prétexte de promouvoir des oeuvres, visent singulièrement leur propre promotion : la relation auteurs-éditeurs-manifestations n’est que trop évidente.

    Bien sûr, il y a la colère, mais il nous faut la surpasser, d’abord et surtout en gardant un cap qui est le sien, dans l’authenticité et le désir d’écrire avec sa propre problématique. Ensuite de cette colère, personnellement je me défend en disant la chose, en ne nommant pas encore et dans une langue non policée (comme celle du milieu), mais je me demande s’il ne faudrait pas être direct (=direct aux faits). Pour le moment, j’ai entamé sur mon blog une chronique qui s’intitule « nouvelles de chez nous » (http://okibou.blogspot.com/2010/07/nouvelles-de-chez-nous.html) qui pourra être alimentée par les matériaux (les perles) issues des pratiques dudit milieu.

    Cela n’apportera certainement pas beaucoup de réconfort à Mathieu Brosseau,,, moi j’en tire un rire cathartique (c’est déjà ça, AH AH AH) et il y là un chantier ouvert.

    AH AH AH AH AH !

  3. rené Chabriere

    Ah Ah Ah lllo ( qui bout )

    La contrainte de langage
    Si elle s’engage

    Est la même – à mon regret
    Que pour l’eau ( à 100 degrés)

    Elle bout, à qui veut le voir
    (c’est pas la mer à boire)

    Mais André, qui aime l’altitude
    A aussi une certitude

    C’est que l’ébullition
    Suit bien la pression

    Qu’elle soit atmosphérique
    Ou simplement poétique…

  4. Mathieu

    Je ne crois pas qu’il y ait de pari qui puisse nous sauver, cher Patrick, cher André.

    L’écriture n’est qu’une façon de brutaliser encore la vie. Sans doute parce que son temps nous contraint. Nous lui en voulons du terme qu’elle nous impose.

    Certains disent : commettre un livre, comme on pourrait commettre un meurtre. On cherche à se pardonner de vivre ; l’écrit a quelque chose d’aussi définitif qu’irreparable. Comme un meurtre. C’est une façon comme une autre de se préparer à la mort silencieuse.

    Je crois désormais plus louable d’accepter sans bruit ni illusion la peine à perpétuité qui est la nôtre, celle qui nous place dans un corps mourant, un esprit soumis à ses traces.

    Ne croyons donc pas que l’ecriture serait une solution cathartique à la vie – ou pire encore : un mode de vivre.

    D’aucuns disaient « Tais ce que sçais ». Je comprends mieux aujourd’hui pourquoi ce silence.

    Il n’y a pas de pari et le silence de l’action dit le nom de l’action.

    Mathieu

  5. fgriot

    pas sûr, pour moi, que cela appelle débat, et en soit le lieu.
    ceci dit, si la violence du « dépit » est à l’aune exacte d’un désir, sans doute narcissique, et déçu — et je l’ai aussi connu ce désir dans cette tension égotiste vers une quête faussée, et désaxée, décentrée du travail central — je suis pour autant en plein accord, Mathieu.

    et puis « accepter sans bruit (…) un corps mourant, un esprit soumis à ses traces », éphémères, n’est pas à mon sens défaite, ni abandon, mais bien début de « sagesse ». lutter contre est évidemment la grande illusion. mais ne plus lutter contre (faire avec, dans le calme profond) ne signifie pas pour autant s’épargner de l’obsessive tâche.
    faire, juste faire, et, s’il le faut, en taisant.
    et cela est affaire commune, la pôésie… ni plus haut ni plus bas que le vivre commun.
    le reste c’est de la mousse.

    et oui l’amitié, plutôt que le jeu des réseaux consanguins.

  6. claude favre

    Lutter contre- n’est pas forcément illusions, on en a vu entendu, mais mouvement même de la vie qui pulse. Aiguiser l’esprit critique et ne pas penser la politique comme règlement de ses propres intérêts. Trop l’air du temps ça ne sert à rien, oui cela ne sert de rien, comme si on devait agir utile, ça ne sert à rien, youp fini, c’est fini, on est grand, non pas le père noël, pas les cataplasmes, on va tous mourir, c’est pas grave, ça arrive bien aux autres, ça ne nous émeut pas tant que ça, on est seuls, encore heureux sinon on ne serait que clones, dites si on vivait sans vouloir tout rentabiliser, même sa vie ? Alors oui Mathieu, pas obligé d’écrire (j’avais l’air hors sujet n’est-ce pas, eh bien oui…) Parler, écouter, lire, écrire devraient être d’extrême exigence, au jour le jour cela nous est difficile à tous. C’est pourquoi il faut redoubler, à mon sens (je comprends les fatigues Mathieu, ou le désir de faire autrement), mais je ne crois pas à la poésie sans témoins, le travail de langues – dites donc les petits gars, ça n’existe pas plus la langue qu’une fourmi de dix-huit mètres ou l’herbe qui serait verte – redoubler d’attention au langage qui est notre finitude, notre agacement – eh oui, cela nous échappe toujours mais ça pousse en avant (de facto hic and nunc) et nous permet le décentrement, nous permet de nous arracher à nos égoïsmes, hop plus le nez sur le guidon, allons voir ailleurs, dire c’est faire.
    Lutter contre c’est aussi faire avec, petit frère griot, faire avec les contradictions et nos défaillances, lutter contre, c’est tout contre, hum mamzelle la vie, votre air mutin, vos airs chagrins… Lutter contre, sans aucune chance, mais lutter. Contre les horreurs du monde, à y perdre raison, santé et tutti quanti, pas le choix, il y a des situations qui ne méritent que le combat.
    Après on a droit au repos du guerrier, ou un bon vin, au choix, ou les deux
    Comme impression, je n’oserais parler de pensée, ça m’est arrivé il y a quelques années, je me suis mise à penser, badaboumm et dommages collatéraux (mais j’aimais bien, enfin c’est comme ce bon vin, pas tous les jours tout de même, enfin si je pouvais…) que nous accusons le langage, qui n’existe pas sans nous, non non non les petits mots ne sont pas des organismes vivants, c’est une métaphore, une métaphore est un camion en Grèce aujourd’hui, et ils portent de foutues cargaison, pour sûr arthur, et ils déraillent parfois, et ils ne vont pas loin sans nous.
    Ah, nom d’un petit pois, je suis hors sujet, va mettre ta langue ailleurs, puisque tu t’en fous languesde guingois, du mi-lieu tu n’existes pas, tu n’existes qu’en prenant les chemins de traverse, avec cependant un désir fou d’une parole enfin (dites si on essayait, cela veut dire, batailler taillant et d’estoc, et fatigues, et il faut tout recommencer, et demain pire peut-être, et on n’y arrivera pas et on aura de belles surprises..) si on tentait une parole vergogneuse. J’appelle ça non pas poésie mais contrevers. Parole vergogneuse veilleuse infatigable.

    ps. Ces phrases ne ressemblent pas des phrases, je ne m’en excuserai aucunement. Mes arguments ne sont pas des réponses. L’amitié est plus forte que le milieu. En chinois, lire et seul sont des homophones.

  7. denis hamel

    bonjour mathieu.

    votre lettre est ambigue. on ne sait pas s il s agit d une autocritique ou d une lettre de rupture.

    on ne comprend pas bien de quoi vous vous plaignez.

    qui vous empêche de prendre de la distance et de continuer à écrire, tout seul dans votre coin ?

  8. jean-nicloas clamanges

    JNC:
    Madame, messieurs, j’ai tout bien lu de ce que vous écrivez-là, en pensant à part moi que le fond mal barré de ce débat apparaît pour de vrai dans la langue foudroyée que personne n’atteint, là-haut chez vous, dans ce que je cite ici-bas – que vous reconnaîtrez dès la première ligne, d’ailleurs:

    « Toute l’écriture est de la cochonnerie.
    Les gens qui sortent du vague pour essayer de préciser quoi que ce soit de ce qui se passe dans leur pensée, sont des cochons.
    Toute la gent littéraire est cochonne, et spécialement celle de ce temps-ci.
    Tous ceux qui ont des points de repère dans l’esprit, je veux dire d’un certain côté de la tête, sur des emplacements bien localisés de leur cerveau, tous ceux qui sont maîtres de leur langue, tous ceux pour qui les mots ont un sens, tous ceux pour qui il existe des altitudes dans l’âme, et des courants dans la pensée, ceux qui sont esprit de l’époque, et qui ont nommé ces courants de pensée, je pense à leurs besognes précises, et à ce grincement d’automate que rend à tous vents leur esprit,
    – sont des cochons.
    Ceux pour qui certains mots ont un sens, et certaines manières d’être, ceux qui font si bien des façons, ceux pour qui les sentiments ont des classes et qui discutent sur un degré quelconque de leurs hilarantes classifications, ceux qui croient encore à des « termes », ceux qui remuent des idéologies ayant pris rang dans l’époque, ceux dont les femmes parlent si bien et ces femmes aussi qui parlent si bien et qui parlent des courants de l’époque, ceux qui croient encore à une orientation de l’esprit, ceux qui suivent des voies, qui agitent des noms, qui font crier les pages des livres,
    – ceux-là sont les pires cochons.
    Vous êtes bien gratuit, jeune homme!
    Non, je pense à des critiques barbus.
    Et je vous l’ai dit: pas d’oeuvres, pas de langue, pas de parole, pas d’esprit, rien.
    Rien, sinon un beau Pèse-Nerfs.
    Une sorte de station incompréhensible et toute droite au milieu de tout dans l’esprit.
    Et n’espérez pas que je vous nomme ce tout, en combien de parties il se divise, que je vous dise son poids, que je marche, que je me mette à discuter sur ce tout, et que, discutant, je me perde et je mette ainsi sans le savoir à PENSER, – et qu’il s’éclaire, qu’il vive, qu’il se pare d’une multitude de mots, tous bien frottés de sens, tous divers, et capables de bien mettre au jour toutes les attitudes, toutes les nuances d’une très sensible et pénétrante pensée.
    Ah ces états qu’on ne nomme jamais, ces situations éminentes d’âme, ah ces intervalles d’esprit, ah ces minuscules ratées qui sont le pain quotidien de mes heures, ah ce peuple fourmillant de données, – ce sont toujours les mêmes mots qui me servent et vraiment je n’ai pas l’air de beaucoup bouger dans ma pensée, mais j’y bouge plus que vous en réalité, barbes d’ânes, cochons pertinents, maîtres du faux verbe, trousseurs de portraits, feuilletonistes, rez-de-chaussée, herbagistes, entomologistes, plaie de ma langue.
    Je vous l’ai dit, que je n’ai plus ma langue, ce n’est pas une raison pour que vous persistiez, pour que vous vous obstiniez dans la langue.
    Allons, je serai compris dans dix ans par les gens qui font aujourd’hui ce que vous faites. Alors on connaîtra mes geysers, on verra mes glaces, on aura appris à dénaturer mes poisons, on décèlera mes jeux d’âmes.
    Alors tous mes cheveux seront coulés dans la chaux, toutes mes veines mentales, alors on percevra mon bestiaire, et ma mystique sera devenue un chapeau. Alors on verra fumer les jointures des pierres, et d’arborescents bouquets d’yeux mentaux se cristalliseront en glossaires, alors on verra choir des aérolithes de pierre, alors on verra des cordes, alors on comprendra la géométrie sans espaces, et on apprendra ce que c’est que la configuration de l’esprit, et on comprendra comment j’ai perdu l’esprit.
    Alors on comprendra pourquoi mon esprit n’est pas là, alors on verra toutes les langues tarir, tous les esprits se dessécher, toutes les langues se racornir, les figures humaines s’aplatiront, se dégonfleront, comme aspirées par des ventouses desséchantes, et cette lubrifiante membrane continuera à flotter dans l’air, cette membrane lubrifiante et caustique, cette membrane à deux épaisseurs, à multiples degrés, à un infini de lézardes, cette mélancolique et vitreuse membrane, mais si sensible, si pertinente elle aussi, si capable de se multiplier, de se dédoubler, de se retourner avec son miroitement de lézardes, de sens, de stupéfiants, d’irrigations pénétrantes et vireuses,
    Alors tout ceci sera trouvé bien,
    et je n’aurai plus besoin de parler. »

    Antonin Artaud, Le Pèse-Nerfs.

  9. B. Fern

    « En chinois, lire et seul sont des homophones. »
    Ah ? Merci. Se tenir entre « Il chante pour lui seul et non pour ses semblables. » (Lautréamont) et le fait que l’on s’adresse toujours plus ou moins à un autre, ne serait-ce qu’en soi (air connu). Sur une corde à la raideur variable.

  10. claude favre

    Monsieur, Messieurs,
    « Le langage est une grande affaire, et tant pis pour qui en doute » Perros, mais oui Vieux (je dis Vieux, on est compagnon de cimetière) affaire catastrophique, mais je ne me résoudrai jamais à dire tant pis, et ce n’est pas Artaud qui me contredirait, je crois, pas sûre, n’étant pas de « là-haut chez vous », je sais pas écrire comme il faut penser encore moins lire
    Bon salut, j’ai boulot à mettre ma langue au feu

    ps : Personne ne prétend à un débat, juste une conversation

    pss : Merci pour Lautréamont

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