[Chronique] Sandra Moussempès, Sunny girls, par Emmanuèle Jawad

[Chronique] Sandra Moussempès, Sunny girls, par Emmanuèle Jawad

février 25, 2015
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[Chronique] Sandra Moussempès, Sunny girls, par Emmanuèle Jawad

Après une première présentation aussitôt la parution en librairie, l’article d’Emmanuèle Jawad revient dans le détail sur ce singulier recueil.

Sandra Moussempès, Sunny girls, Flammarion, février 2015, 216 pages, 17 €, ISBN : 978-2-0813-4191-3.

 

Dans un travail remarquable de distanciation ironique et critique, Sunny girls agence des propositions comme autant d’énoncés hétérogènes se référant à un monde des apparences et des contradictions sociales où s’y mêlent un univers cinématographique et un caractère d’étrangeté.

 

Sunny girls« filles rayonnantes, toujours souriantes », caractéristiques emblématiques de ce qui pourrait s’apparenter à des « filles californiennes » selon Sandra Moussempès – regroupe 15 sections dont les titres empruntent explicitement au lexique cinématographique, au mythe ( Lilith), à un monde paranormal (clôture du texte par un Musée des médiums). Dans les titres, la référence au registre cinématographique renvoie précisément à un langage technique (cadre, mouvement), à ses genres (ainsi western à la réécriture gothique) et à sa structure (industrie).

 

L’ensemble du texte, qui repose, d’un point de vue formel, sur l’agencement de propositions fragmentées non liées, hétérogènes dans leurs discours et leurs registres de référence, met en évidence des langages (« un dialogue en vente ») et esthétiques préfabriqués ainsi que des contradictions et incohérences sociales (« faux punks des villas cossues », « une maoïste milliardaire », « parle d’Artaud mais ne le lit pas »).

Les personnages apparaissent, dans leur réduction, tels des rôles constitués, dans un jeu des apparences, des surfaces esthétiques et sociales, dans l’incompatibilité convenue et habituelle de leurs caractéristiques, une superficialité exacerbée où « seuls les publicitaires et les promoteurs sont restés tels quels ».

 

Cet assemblage de propositions convoque à la fois les micro-récits, bribes narratives à caractère autofictif ou non, et les propositions à caractère général, péremptoire ou encore théorique, pouvant détourner un langage scientifique (« Toute algèbre est physiologique »). Défaites de leur contexte référentiel, des propositions non ancrées sont rendues à l’abstraction, contribuant ainsi à marquer le détachement et la distanciation prégnantes dans cet ensemble. Un lexique relevant de l’abstraction, des notions s’y référant, renforcent ainsi ce marquage (« système », « formule de votre esprit », « la réduction des idées », « un théorème », « mathématique », etc.), employé également avec un vouvoiement récurrent qui met en position centrale le rapport proximité/ distanciation avec l’objet de son énoncé.

 

Sunny girls convoque au fil de ses sections des formes particulières où s’insèrent propositions souvent non liées sur le plan sémantique, fragments de récits, amorces de dialogues, répartis en sous-sections le plus souvent titrées, parfois soulignées, pouvant être marquées par une ligne de partage coupant le texte, où la recherche graphique dans l’éclosion de ses signes et ses éléments typographiques est omniprésente (propositions entre guillemets, lignes en pointillés, numérotation, effet de polices, ratures, astérisques, barres obliques, quantité de parenthèses fermées en système de numérotation, amorces d’éléments typographiques d’un journal avec dates). Dans la juxtaposition des fragments qui concourent à la mise en évidence de la multiplicité des discours, on peut retrouver ainsi à la suite une considération générale sur la poésie ou ce qui pourrait être un extrait d’un discours sur la poésie, un fragment qui relève de l’anecdote, la reprise d’un propos familial, une considération enfin sur les comportements féminins (p.111). Des répétitions, dans certaines sections, sous-tendent la structure éclatée du texte, instaurant un leitmotiv faisant lien, où les phrases en boucle évoquent alors une bande son marquée par des échos (en particulier dans la section Caméra-corpus). Ainsi, dans la voix faisant écho ou reprise, reprenant les codes techniques cinématographiques d’une bande son travaillée, « suivez le son qui sort de mes lèvres en différé ».

 

Les personnages de Sunny girls renvoient le plus souvent à des personnages cinématographiques et médiatiques de second rôle (« cataloguée pin-up en devenir », « nymphette », « speakerine scintillante ») et caractérisés à grands traits acides, parfois acerbes, dans une ironie implacable (« autres actrices aux visages fades (…) s’éventant avec les programmes TV » ou encore « Daria (bis) quitte les hommes qu’elle a choisis quand un nouvel homme plus intéressant à ses yeux se profile sur les dunes…»). Les personnages de Sunny girls peuvent déjouer également les codes, Sandra Moussempès leur rendant alors une forme d’épaisseur énigmatique (un « faux punk », « une femme » qui « n’est pas lesbienne mais souhaiterait l’être » ou encore « je devenais toi, mais ton corps ne se transformait pas c’est moi qui reprenais tes codes machistes »). L’univers du conte est repris également dans ses personnages clés (fée, sirène, princesse, sorcière), détourné aussitôt dans la critique d’une contemporanéité sociale, sur un mode ironique (« le royaume dans un deux-pièces mauve »).

 

Sunny girls se rapporte à l’univers cinématographique dans son ensemble, dans les domaines de la réalisation et de la production, empruntant par endroit son lexique (« fondu au noir », « caméra subjective »), dans des éléments descriptifs de tournage (plateaux de cinéma et décors, éléments de dialogues). Le document photographique reste présent dans Sunny girls reprenant ainsi l’idée d’une planche-contact ou de suite photographique, présente également dans Photogénie des ombres peintes. Les références cinématographiques jalonnent l’ensemble, s’axant principalement sur Antonioni et en particulier le film Zabriskie point, M. Haneke (film Code inconnu) et Chris Marker (Sans soleil).

 

L’étrangeté, dans une posture de distanciation ironique, qui émane des énoncés de Sunny girls, se rapporte à la fois à l’incongruité de certaines propositions mettant en équation des contradictions (ainsi « la maison californienne dans un hameau cévenol ») et à la mise en situation même d’une thématique en filigrane (et explicite dans sa dernière section) qui a trait au paranormal. Ce dernier s’immisce dans la description et la critique sociale (« rêves répétitifs », « ultra-mémoire », « infiltrations mémorielles », « caddy mémoriel », « l’angle d’hypnose ») et vient ainsi complexifier les rôles attribués aux personnages de Sunny girls (« l’infirmière/ liquéfiant des mémoires/ sur sa coupelle de métal », un personnage aux « 9000 vies passées »).

 

Multipliant les procédés de distanciation critique, dans l’évocation de ce qui pourrait être les « strates » individuelles et sociales qui animent les individus, Sandra Moussempès révèle, dans la séduction d’une écriture distanciée, un réel impitoyable et énigmatique aux confins de l’imaginaire.

© Photo : Sandra Moussempès au festival ActOral, par A. Donadio.

 

 

 

 

 

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rédaction

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