[Livre-chronique] Souvenir du soleil, de Margarita Xanthakou

[Livre-chronique] Souvenir du soleil, de Margarita Xanthakou

octobre 6, 2010
in Category: chroniques, UNE
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Margarita Xanthakou, Souvenir du soleil, éditions L. Mauguin, décembre 2009, 15 €, ISBN : 978-2-912207-30-4.

Chronique de Déborah Heissler

Souvenir du soleil. Le recueil est court et construit d’emblée comme une sorte de prisme qui résistera à la fois à l’interprétation et à la description, où "l’analyse [serait] illusion [et] la synthèse des analyses, sommes d’illusions."

Indécision référentielle d’abord de cette "contrée", qui donne son titre à la première section du recueil et dont on esquisse à peine les contours (au nord "les nuages", au sud "les vents", à l’ouest une "fée qui joue avec trois pommes d’argent" et à l’est un "enfant qui soulève des montagnes") pour ne préciser que cela au final ; elle "est sans limite" (p. 7).

Ou bien "Problème [consécutivement] // Un coin pour lire, pour écrire : j’existe ? Une fenêtre pour la fermer, pour l’ouvrir : simplement ? [cette contrée]" se demande le narrateur. Et "Hypothèses [énoncé dans une troisième proposition] // On aurait dérobé le témoignage des soleils, on aurait violé le matin quand s’éveille la contrée" pour que cela soit, sans limites ni repères. Rappelons simplement que "contrée" *contrata (régio) a d’abord désigné le "pays situé en face de (celui qui regarde)", pour mieux comprendre l’allusion faite ici à la fenêtre et, un peu plus loin, au "témoignage" dérobé des soleils ou encore au matin "violé" qui appellent, dans un troisième point, la mention du réel au sein du poétique :

"Méthodes // J’ai giflé le vent, mais ce n’était que pour sauver un épi. J’ai désobéi au ogres pour que vivent les contes. Je l’avoue, j’ai comploté avec les enfants mais ce n’était que pour servir la réalité. Regardez, il pleut […]. // ça c’est la photo de la terre, je l’ai trouvée dans les ruines" (7). Incursion du réel, de la réalité de la pluie, de la terre concrètement, et matérialisation de l’image au sein de la photographie, qui ouvrent cette première section sur l’évocation d’un homme, énigmatique, dont on ne sait rien, sur la potence, qui noue ses lacets tandis que le narrateur joue au billes.

Dans la deuxième section du recueil, se noue alors un dialogue entre deux instances à la première personne, dont on pourrait imaginer qu’ils ne forment qu’un seul et même interlocuteur, mais perçu à des moments différents de sa vie d’autrefois – le je de l’un, plus âgé que l’autre et détenteur des souvenirs et de la mémoire, et le je de l’autre –, et qui s’écrivent et se répondent durant une semaine, le premier à Paris le matin et le second on ne sait où dans la soirée.

Le second, mémoire vive, qui répond aux questions posées par le premier pour lui livrer, par bribes, des pans de vérités (brut "L’argument déchire son manuscrit. On éventre une orange. Une femme en robe bleue fusillée hier, en août 44. J’existe parce que j’aime la mer verte et bleue, parce que j’ai vu l’orage sur la mer Egée" – p. 19), tandis qu’un peu plus tard, un dernier échange scelle quant à lui, l’évocation d’un monde révolu, et toujours aussi difficile à circonscrire, de soldats de plomb, d’arc et de flèches : "La marée couvre l’univers d’un linceul violet et les décharges électriques avalent l’espace. Les abris souterrains sont en feu. Je pars. La lune est rouge ? // […] Dans le vieux miroir, le bruit des images me fige. Un papillon défie les bourreaux et puis voilà une mère qui maudit la terre. Pour effacer le bruit, j’allume. Je sors dans la tempête et je cours, je cours par les rues désertes… Oui. La lune est rouge" (19).

Dans la dernière section enfin, ni plus repères que "repaire", mais des lettres, celles de l’alphabet et bien plutôt perdues, qui consomment l’effacement "de la mémoire" et des "pages blanches".

A la lettre K, on lit ainsi : "Je ne sais plus ni parler ni écrire, la pensée vagabonde" elle refuse la grammaire la syntaxe la ponctuation. Elle est devenue agitée insomniaque effrayée par les formules pour pensées pensantes ou quelque chose comme ça" (26).

Puis à la lettre W, cela : "La feuille morte sur l’avenue déserte, la mémoire essoufflée brouille la distance entre hier, aujourd’hui, après" (26).

Et à la lettre Z enfin : "Sur la fenêtre, une ligne verticale étreint le bruit d’un été amnésique" jusque dans l’annihilation de l’espace et de ses cadres, du temps et peut-être bien du sujet lui-même.

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rédaction

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