[Chronique] Toute la lire, n° 2, par Bruno Fern

[Chronique] Toute la lire, n° 2, par Bruno Fern

décembre 10, 2016
in Category: chroniques, Livres reçus, UNE
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[Chronique] Toute la lire, n° 2, par Bruno Fern

Toute la lire, Cahier n° 2, éditions Terracol, novembre 2016, 16 photos, 160 pages, 18 €. [En arrière-plan, traces de Frédérique Guétat-Liviani]

 

Dans le Cahier n° 1, cette revue était définie par son directeur, Christian Désagulier, comme étant « de poégraphie », ce qui, selon lui, renvoyait autant aux tracés du texte littéraire (« En phrases comme en phase ou déphrasés, l’enregistrement de ces petites secousses que le choc des plaques de pensée engendre au fond de soi […] ») qu’aux différentes approches techniques et scientifiques qui, contrairement à certaines idées reçues, sont « toutes exactes et humaines, c’est-à-dire faillibles, indescriptibles totalement, avec de ces combinaisons de mots récurrentes et particulières qui lui confèrent [à la poésie] une probabilité d’occurrence, même faible, miracle de la statistique, notre semoule quotidienne ». Cela dit, on pouvait déjà remarquer dans ce premier Cahier une importance accordée aux lieux, tendance que l’on retrouve ici dans la plupart des contributions, ponctuées par les étranges photographies d’« ombres mauriciennes au Jardin de Pamplemousse » de Christian Désagulier.

Il en est ainsi pour Marie Borel qui, en évoquant des terres lointaines (du moins, d’un point de vue européanocentré), entrelace subtilement le français, l’anglais et diverses langues locales, créole et autres, dans une perspective qui ne plairait guère à François Fillon : « Colonisateur ou envahisseur, un peuple en exploite un autre, mettons. Cet autre, certain jour, ose parler sa propre langue, souvenez-vous. Le premier, furieux, crie alors à la provocation. »

À sa manière, Olivier Schefer explore un autre espace, celui de Nosy Lava, « l’île cachot » située au nord ouest de Madagascar, qui servit de bagne de 1911 à 2000. Lui aussi mêle le récit de sa visite à des considérations sur le passé colonial (puisque Madagascar n’accéda à l’indépendance qu’en 1960) et il convoque également au passage Deleuze et Thomas More.

Le jeûne de l’Avent de Sergueï Zavialov, traduit du russe par Yvan Mignot, a pour cadre le siège de Léningrad par l’armée nazie – qui, au total, aura duré 872 jours -, à travers une sorte de journal extime qui va du 29 novembre 1941 au 7 janvier 1942. S. Zavialov y fait entendre de multiples voix, du bulletin météo au Magnificat en passant par les communiqués militaires et les cartes d’approvisionnement, et ce montage – c’est-à-dire « la forme non mélancolique de la technique moderne » selon W. Benjamin – constitue un ensemble très singulier.

Quant à Yves-Marie Stranger, sa Vie imaginaire de Jean-Michel Cornu de Lenclos relate la destinée d’un grand voyageur en associant faits réels et fiction dans une tonalité à la fois savante et facétieuse. Par exemple, le héros fonde une maison d’édition dont la devise est « Je me Limite à Tout » et son portrait n’est sans doute pas éloigné de celui de l’auteur : « Un mélange curieux de réelle érudition, sans fanfare ni trompettes, et d’un esprit moqueur et léger qui aimait tout en dérision, et d’abord lui-même. L’éternité, oui, mais avec les meilleurs fromages. » 

Frédérique Guétat-Liviani, elle, effectue un périple d’un genre très différent, intitulé Œil, en plusieurs étapes où il est notamment question de rituels énigmatiques :

 

puis k                            a cassé                                     l’œuf                                          dans une assiette

dans l’œuf                      il n’y avait plus                              ni mèches                  ni figures

ni                                                                                                                             emmêlements

cependant            la coquille abrite toujours            l’oeil   

 

Enfin, signalons les larges extraits de l’Atlas de mes estuaires d’écrire. Hauts-fonds, pleines ou basses mers & eaux fangeuses : sept esquisses de cartes parmi d’autres (ouf !) de Sarah Carton de Grammont, au ton aussi grave que drolatique : 

« Les lieux, à vrai dire, ne se portent pas trop mal. L’état des lieux n’est pas trop pire. Les lieux en eux, ça va. Certains fuient, mais ça va. C’est moi qui me demande où je vais et où, en mon état présent de dislocation.

Il faudrait donc dresser mon atlas. Il faudrait ne pas oublier l’index. » 

Bref, tout est à lire dans ce numéro auquel les talents de Julia Tabakhova ont permis de donner une belle facture, cerise sur le drôle d’oiseau qui trône en couverture – le terracol, espèce inconnue des ornithologues.

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rédaction

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