[Chronique] Vanda Miksic et Jean de Breyne, Des transports, par Christophe Stolowicki

[Chronique] Vanda Miksic et Jean de Breyne, Des transports, par Christophe Stolowicki

novembre 14, 2019
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[Chronique] Vanda Miksic et Jean de Breyne, Des transports, par Christophe Stolowicki

Vanda Mikšić et Jean de Breyne, Des transports, Lanskine, été 2019, 88 pages, 14 €, ISBN : 978-2-35963-018-3.

À deux fois deux mains qui ne font jamais quatre, une exquise politesse transfrontalière : celle de Vanda Mikšić qui a pris la peine d’écrire dans la langue de l’autre ; celle de Jean, découverte dans Rien n’est jamais éteint de feux allumés (2017), de laisser un temps à l’interlocuteur avant de répondre pour le cas où il aimerait rajouter un brin, redécouverte peu après dans Les Cosaques de Tolstoï chez un rude guerrier tatar – ici réclamant à Vanda un second poème avant de reprendre la main ; celle de l’éditeur qui (im)perceptiblement distingue les deux auteurs, d’un trait à peine plus gras la poète croate, contrairement à l’usage confusionnel en vigueur.

Contrainte, une seule, écrire lors d’un voyage, en train, avion, autobus, auto mobile ou à l’arrêt ; l’envoi le plus souvent électronique, décollant dans le subliminal ; sur deux ans (2014-2016).

Dès le premier échange, au jeu à la chute de Vanda sur le passage (« vous rentrez ? / ou avez-vous simplement obligé d’autres passagers / à faire des détours / à prendre des raccourcis ? ») répond de Jean la faute d’orthographe magistrale : « Sur la voix ralentissent le train / Pas des hommes – des animaux […] / Pas des terroristes ce matin ». À ses rejets de scansion serrée, verticale, répondent, amplifiés encore d’une syntaxe poétique lacunaire, les enjambements de Jean – à l’approche de la chute ponctués de tirets. Chute : « Subvertir le feutré ». Chutes : envois, à princes de mots.

Du transport collectif où les congénères abondent sans qu’on ne rencontre jamais personne – le (dé)creusement de l’intériorité, plus visionneuse que voyeuriste, miniaturise, épand le transport verbal. Ce qui saute à l’entendement dans ces poèmes amébées qui avec les mois gagneront en correspondance est le grand écart initial : à Vanda le concret, le cocasse, l’anecdotique : « cons signes de sécurité […] vos / papiers s.v.p. je n’en ai pas mais j’ai / pris des livres et des fromages enlevez / vos chaussures aujourd’hui elles / sonnent […] l’officier gravement con fut » ; à Jean les interrogations consubstantielles sur le voyage : « Retour // Qu’est-ce un retour ? // (Pourquoi retour ? Pourquoi pas aller ? / Qu’est-ce qui fait retour ?) ». À Jean – qui prend beaucoup l’avion –  les jeux abstraits (« Traverser l’aire dans l’air » ; à Vanda un peu d’abstrait aussi mais abrupt (« perfect match / de l’intérieur et de l’extérieur »). Elle voyage sans recul à fleur de paysage, quoique traductrice n’appartenant pas comme lui à la catégorie des « humains en / train / nés » (l’entraînement cité est de lui). Jean : « Qu’il n’y ait que trajet ! », se détachant de tout territoire ; « Je traverse une grande part / de mon histoire », voyageur de l’espace-temps dont la tautologie (« Là où on va on y sera / C’est dit avec mélancolie ») est un marqueur d’éternel retour.

Bientôt révélée la différence d’âge quand la jeune mère évoque le carnet de poèmes où son fils « presque à chaque page [a griffonné] un demi-chien / un ours à cinq pattes / un être faufilé entre les lignes », nous devient sensible sa joyeuse déférence. En deux ans c’est elle (« comment lui dire / on ne parle pas la même langue / la sienne est l’horizon / qui ouvre des possibilités // le monde de toute façon /n’est qu’une pomme », 2014) qui fait vers lui le chemin – d’abstraction : « peut-on en conclure / que tout arrive / au bon moment ? // un jeu / une décision / un voyage / une mise à nu / un oubli / un renoncement […] Kairos [en grec ancien le moment favorable] n’est qu’une machine / à questions », 2016.

De Jean (« J’avance le dos à la marche / Cependant à Grande Vitesse / Sans accident sans trébucher » ou « Lieux-dits comme petits cailloux / Et moi le Petit Poucet / J’en ai semé tant / Tu verras Toi aussi », Jean à qui les noms de lieu dans leur « accumulation » ne sont pas des toponymes anonymes, Jean à saute-flocons sur une marelle dont des cases ont été supprimées, est passée à Vanda une épaisseur profondeur de champ, Vanda condensant l’anaphore en reprise cloutée, Vanda jaillie du « tunnel rayé de lumière / accélérateur de particules / interrogatives ».

Sur une route enneigée en descente de sapinière, aux phares yeux répondent, l’une barrant la page, deux distinctes traînées de brouillard. Pour qui le connaît la photographie de couverture n’a pas besoin d’être signée Jean de Breyne.

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