[lire la présentation générale]
Tout d’abord, il faut souligner l’extrême qualité de la réalisation tant éditorale que sonore. Ce qui justifie parfaitement le prix [25 €], qui, il est vrai, ne semble pas d’emblée très bon marché. L’ensemble est très professionnel, et les enregistrements en studio, permettent un rendu très appréciable au niveau de l’écoute.
Néant, nous donne ici tout à la fois à lire et à entendre les pièces sonores. Comme avec Heidsieck, qu’Al dante a permis pour une grande part de redécouvrir, la première exploration, tient bien à une mise en parallèle des deux supports. Si pour certains, l’écart entre les deux médiums est peu important, à savoir n’existe aucune distorsion entre ce qui est écrit et ce qui est entendu, reste que pour d’autres, tels Jean-Michel Espitallier, Jacques Sivan, Vannina Maestri, se pose bien la question du trans-port, voire selon mes termes propres de la trans-action médiumique entre la vue et le son. Leur travail, en effet, aussi bien au niveau de l’écriture que de la composition sonore, étant très exigeant formellement, ne se construit pas selon une simple transposition en lecture accompagnée de guitare comme pour C. Fiat, mais interroge aussi bien la matérialité textuelle en sa composition, que les architectures sonores possibles pour saisir ce qui a lieu au niveau de l’écriture. Et ici, il faut le souligner, avec Jacques Sivan et Jean-Michel Espitallier, non seulement, il y a une réelle découverte textuelle, qui se place dans la continuité de leur travail, mais en plus au niveau du son, il y a une élaboration complexe qui n’est pas seulement au service du texte, mais qui prend forme comme création autonome.
Une fois fait ce constat, il reste à découvrir l’univers poétique de chacun des intervenants. Chaque pièce constituée est assez longue, ce qui signife, qu’elle court pour certaines le risque de l’épuisement de l’auditeur. Et c’est là que le travail de certains des poètes trouve sa force, au sens où certaines de ces créations tiennent parfaitement les 20 minutes sans s’épuiser, entraînant l’écoute dans leur univers aussi bien linguistique que thématique. C’est ainsi que le travail de Jean-Michel Espitallier, qui il est vrai paraît formel au niveau de sa présentation graphique, se découvre comme un univers accidenté par les juxtapositions de couches aussi bien de voix, retravaillées, que de l’insertion de guitare. De même, la création de Jacques Sivan, qui désarçonne graphiquement plus d’un lecteur, trouve, un rythme très singulier, dans la composition, texte, jingle, plan et contre-plan de voix, qui donne une dynamique au texte, insoupçonnable à la lecture.
De même avec Nathalie Quintane, le travail sonore obtient — il me semble — une remarquable plasticité [aussi bien avec Un plateau vide qu’avec l’Entretien inédit avec Antonin Artaud ou Dire bonjour] qui jouant sur le ressort classique de l’insert sonore en contre-point, pourtant crée un univers ludique, qui tout à la fois séduit et met en jeu un va et vient critique enre le dit et le son. Selon une méthode radiophonique, l’organisation textuelle devient l’univers accidenté de brèches sonores qui incisent le sens de ce qui est dit par les ressorts symboliques des sons insérés.
Ces expériences montrent en ce sens certaines voies suivies au niveau de la création sonore. Soulignons aussi, la création de Stéphane Bérard qui fait exception dans l’ensemble, du fait que son texte ne soit pas présent dans le livret et que nous n’ayons que la version sonore de son texte. Sa chanson, parodique, sorte de chanson de geste, qui raconte un parcours en détournant les accents mélodiques d’une musicalité médiévale, se joue d’elle-même, en se sour-jouant dans l’ordre de la mise en voix de la banalité d’un trajet. Là aussi un travail très bien réalisé, qui amusera l’auditeur.
Donc, on l’aura compris, cet ensemble est à découvrir et se pose comme lieu où est interrogé le rapport entre dimension graphiquee et sonore. Le regret que l’on pourrait avoir cependant, c’est que s’il est très bien de retrouver ces poètes que nous apprécions beaucoup, cependant, il est dommage qu’un tel projet n’ait pas accueilli des créateurs qui travaillent spécifiquement en relation avec le son. En effet, s’il y a bien des créations originales, toutefois, au niveau de certains recherches, il y a ici une absence totale, par exemple dans celles qui travaillent dans la relation entre dimension électronique et texte. Alors que des poètes comme Emmanuel Rabu [pour ne parler que de lui] travaille textuellement depuis plus de 10 ans déjà en liaison avec la musique improvisée liée aux granulosités électroniques et selon une dimension minimaliste, il me semble que de telles réalisations devraient justement accueillir ces recherches au sens où si elles existent, elles sont encore trop peu médiatisées et défendues.