CONQUÊTE DU PAYS UGOGO. Une épopée burlesque. Une façon fantasque et fantasmée de parler de l’Afrique. Des colonies. Du Congo Belge. Ça va dans tous les sens. Ça brasse des souvenirs et des vieux rêves. Ça parle autant de la Belgique que de l’Afrique. Ça parles des boues et des déserts. Des éléphantes et des grands fauves.
Et puis aussi : CONQUÊTE DU PAYS UGOGO, ça se lit mais ça s’écoute aussi. Du moins en partie. Ai fait parvenir à des musiciens des extraits enregistrés du texte. Leur ai dit, si cela les inspirait, d’en faire ce qu’ils voulaient. Ai envoyé un extrait de l’épisode 17 à BABILS, un groupe d’improvisateurs bruxellois. BABILS, on peut entendre sur Soundcloud des choses à eux ( https://soundcloud.com/babils-1 ). Ce qu’ils ont fait de l’extrait [écouter], également pour Libr-Critique ! /Vincent THOLOMÉ/ [Voir un autre extrait sur Remue.net, auquel nous empruntons la création picturale de Maja Jantar – dans le bandeau et en arrière-plan]
CONQUÊTE DU PAYS UGOGO
épisode 17
AU LIEU-DIT LA BLANCHE BORNE, DANS LE CHARIVARI DU MARCHÉ MATINAL, LE MEUGLEMENT DES BOEUFS RASÉS DE FRAIS, ORNÉS AUX CORNES, POUR LA FÊTE, DE RUBANS JAUNES, DE RUBANS ROUGES ET DE BLEUS, UN JOUR, UNE FOIS, DANS LA BRUME FLOTTANTE : CÂLIN POUR KO, CÂLIN POUR KI, CHERS PETITS COEURS, CHERS ENFANÇONS, EN PLEURS, PERDUS PERDUS DANS LA FOULE, LES CAISSETTES DE TOMATES, LES BARBES-À-PAPA ET LES FLONFLONS DE L’ORCHESTRE VACHON.
(…) Puis : « Parfait parfait », j’ai dit, et : « Aux suivants », j’ai dit. Puis, en vélo et en taxi-brousse, suis allée, dans l’illico et le presto, ailleurs. Au lieu-dit Bouchon Ravet.
(…) Puis, au lieu-dit Bouchon Ravet, à proximité des boucs, des boues et des bouses, non loin des grandes porcheries, des cheminées en briques rouges, des industries toxiques et textiles, non loin des sales groins des grands porcs et des truies toutes roses, des aiguilles qui battent la mesure, là, exactement là, entre le champ de patates du fermier frugivore et le champ de petites betteraves du boucher mal assis : Câlin pour Ku, câlin pour Kou, chères petites soeurs, perdues perdues dans le chagrin, si tristes d’avoir, un jour, une fois, perdu, dans la savane, dans les hautes herbes, la poupée Kulibuli. Puis, sans hésiter, j’ai saisi, par le bras, Mé et Mi, ai assis, sur un seau retourné, mon cul postérieur, puis assis Mou et Ma, sur mes cuisses, mes genoux dénudés, puis assis Meu et Meï sur 2 tabourets bancals, puis assis Min sur 7 branches de noisetier coudrier coupées court, puis ai sorti de ma musette, petit sac de toile huilée, passé en bandoulière, 6 aiguilles et 6 fils de soie, 5 petits pots de baume, 5 tubes de graisse de castor, puis ai oint, 4 fois 4 fois font 12 fois, les lèvres de Mon, les lèvres de Man, les petits genoux pointus de Mouï, les petits coudes en pointe de Maï, puis recousu les plaies profondes de Me, remis tout droit le nez cassé de Meuï.
(…) Puis : « Parfait, parfait », j’ai dit, et : « Aux suivants », j’ai dit. Puis, dans l’illico et le presto, suis allée, en pirogue et à pied, au lieu-dit Mouchon Ravi.
(…) C’était : À proximité des mangeoires animales, des abreuvoirs en tôle inoxydable. Exactement là. Dans les grandes prairies décoiffées par les vents, dans le gel perpétuel et la chaleur du pis des vaches. Un jour, une fois : Câlin pour Keu, câlin pour Kon, enfants neptuniens, perdus perdus, dans l’ennui, vivotant à côté, dans l’immédiate proximité des êtres et des choses, du joyeux vivant, des bandes drolatiques de fourmis rouges, des bandes hystériques de singes babouins. « Nom de nom », j’ai pensé. Puis, dans l’illico et le presto, au lieu-dit Mouchon Ravi, j’ai posé, sous un saule centenaire, 3 sucres d’orge pour la fourmi Neptune et la termite Saturne, 2 sucettes sucées des heures pour l’abeille Pluton et le bourdon Vénus, 1 carré confiture pour le chien efflanqué, les priant de bien vouloir se tenir, cette année encore, à l’écart des poules et de leurs plumes, à l’écart des peaux des grands lapins et des narines des enfants Zi et Zou, tentant, 9 et 9 heures durant, de les convaincre de ne rien pondre dans les oreilles ou dans les bouches des enfants Zeu et Zeï, de laisser encore en paix les trous de balle des veaux nés dans l’année, les trous de balle des grandes brebis et des mammouths laineux, les trous de balle des pourceaux pelés végétant dans leurs soues.
(…) Puis, après 8 fois 8 jours de discussion, 7 fois 7 déclarations de guerre, 6 fois 6 calumets de la paix : « Parfait, parfait », j’ai dit, et : « Aux suivants », j’ai dit. Puis, en camion et tracteur bordeaux et soviétiques, suis allée au lieu-dit Sainte Madame, à 17 12 centimètres 15 des carcasses foudroyées, des petits restes du camion de Zin, des petits restes de la carriole et du cheval de Zon, des petits os de Zan, à la croisée des chemins et des sentiers en pierre, exactement là où 5 singes babouins et 5 corbeaux goguenards souillent les 5 bornes kilométriques de 5 fientes et 5 jets d’urine. Puis : « Allez, zou ! », j’ai dit, « Câlin pour Kaï. Câlin pour Kouï », j’ai dit, chers enfants enfançons, engoncés dans les fièvres, perdus perdus dans les confins, à l’extrême limite du pays, beau Pays Ugogo.
(…) Puis, dans l’illico et le presto, j’ai, au lieu-dit Sainte Madame, poursuivi l’ouvrage. Ai, aussi vite qu’une grande marée, serré Zouï 4 minutes 4 contre mon coeur. Posé 4 baisers sur le devant et le dessous, sur le derrière et le dessus du crâne de Zaï. Réconcilié, pour toujours, les grands félins et les petits rongeurs, les pies fouineuses et les longs vers de terre, les mouches et les poissons carnivores. Puis, après 3 jours et 3 secondes, sur le devant et le derrière, sur le dessus et le dessous, j’ai couvert, durant leur sommeil, le grand buffle Bélébé, l’éléphante Balaba et l’enragé Bouloubou, petit guerrier phacochère, de 3 couches épaisses de miel, d’huile d’olive et de biscuits petit beurre, patiemment émiettés au-dessus de leurs têtes, silencieusement réduits en poudre au-dessus de leurs cuisses, consciencieusement écrabouillés au-dessus de leurs ventres rebondis, livrant ainsi, patiemment, silencieusement et tacitement, leurs corps et leurs carcasses intraitables, leurs petits os butés et obstinés, aux mandibules des grands criquets, à la salive des fourmis-tigres, des cafards cancrelats et des épeires diadème.
(…) Puis : « Parfait, parfait », a dit Ze, et : « Bon débarras », a dit Zeuï, et : « Qu’ils crèvent comme ça », j’ai dit. C’était : Quand j’oeuvrais et agissais. Prémunissais et cajolais. Préparais à la hâte. Dans un petit chaudron. Des soupes pour Ché. Des soupes pour Chi. Coupais, dans son assiette, le lard fumé de Chou. Repassais, à toute vapeur, des mannes de linges de corps, des mannes de toques pour l’hiver. Repliant les torchons et les essuies de vaisselle. Turbinais dans les étables et les silos à grains. Dans la paille des granges et dans les poulaillers. Voguais encore l’esprit tranquille. Turbinais en bande. Avec Cheu. Avec Cheï, Sortais au palan, à l’épaisse chaîne de fer, les moteurs des tracteurs soviétiques. Passais l’aspirateur entre leurs bielles et leurs pistons. Faisais puis défaisais. Puis refaisais. À la clé de 15. À la clé de 12. Tout ce qui tenait ensemble. Tout ce qui n’avait pas de nom. Tous les ustensiles. Toutes ces pièces utiles ou inutiles. Parant et réparant. Joyeux drille. Consolant et cajolant. Balançant avec Chin, au fumier, à la décharge publique, dans les fossés, tout ce qui nous semblait de trop, toutes ces vis et ces écrous, ces fils électriques, ces joints rongés par l’humidité. Et : « Est-ce que ça marchera encore sans ça ? », disait Chon, et : « Bien sûr », je disais, puis : « Parfait, parfait », disait Chan, et : « N’est-ce pas ? », je disais. C’était : Quand, sans défaillir, dans les fermes, dans la cour jonchée de merde, à 7 décimètres 12 des bétonneuses et des camions à lait, je sortais le grand taureau, je sortais le grand couteau. Passais les dos des bêtes à la brosse à reluire, au savon de Marseille. Torchais les poussins jaunes, les poussins gris. Dépeçais les lapins. Trayais puis tondais les brebis et les 5 chèvres. C’était : Quand je n’oubliais pas d’embrasser les saumons sur la bouche. Quand je distribuais gratis les truites et les sandres. Sur les marchés. Dans les drugstores. Cassant les prix. Cassant le marché. Oeuvrant partout au bonheur pour tous. Au bonheur pour toutes. Cherchant. Toujours. À persuader. Convaincre. La veuve Chaï que, cette année encore, aucune tornade n’emporterait ses toits de zinc. Ses lessives mises à sécher dans les prairies. Ses tartes au sucre refroidissant dans ses cuisines. « Etc. », j’ai dit. Puis : « Tu crois ça, toi ? », a dit Che, et : « Oui. Pourquoi pas ? », j’ai dit, puis : « Bah. Si tu le dis », a dit Cheuï, « Bin oui je le dis », j’ai dit.
(…) Puis tous, tous tous, avons baigné nos veaux et nos petiots dans les mares, dans les rus et les ruisseaux. Savonnant avec soin leurs têtes et leurs oreilles. Passant nos doigts dans leurs narines. Leur enlevant tout ce qui les démangeait. Les poux et les tiques. Les parasites microscopiques. Prenant soin et chérissant. Serrant le monde contre nos coeurs. C’était : Quand nous arrivions encore à prendre soin et à chérir. Sortir des armoires les pots de confiture. Chasser à grands coups de pompe de sous la table le chien Jupiter et le chat Uranus. Passer les mains à l’alcool. Au mercurochrome. Au bleu de méthylène. Jeter. Consciencieusement jeter. Dans les poubelles. Dans les cours. Nos petits restes. C’était : Quand nous aimions blagué. Glisser des pelures d’orange dans les chaussures de Pa. Glisser des pelures d’oignon derrière les verres épais des lunettes bleus de Peu. Pissant 9 fois de rire quand Peï glissait, shazam !, sur le parquet mouillé. Persuadés, nous autres, que cette année encore, nous serions immortels. « Pauvres fous », j’ai dit.