[Création] Yannick Torlini, Cela (4/4), introduction de Sébastien Ecorce

[Création] Yannick Torlini, Cela (4/4), introduction de Sébastien Ecorce

juillet 2, 2016
in Category: créations, UNE
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[Création] Yannick Torlini, Cela (4/4), introduction de Sébastien Ecorce

La langue est soumise à une force. Une contrainte. Le silence fait partie du langage. Le corps est habité d’un silence, d’une nuit, d’une série de nuits pour une alliance. Un champ de voix couplé à des formes de désincarnation liées à des structures énonciatives (apostrophe, appel, promesse, adresse, invocation). Un se Taire fixateur, initiateur, fondateur d’une langue que l’on laisse aux morts. Qui ne parle qu’aux morts. On met l’index dans la bouche du mort. On en invoque pour ne pas dire convoque les frères, présents absents à venir, Une énergie exténuante tourne insémine informe l’enveloppe de ces textes. Parler ne peut se faire sans fracas, sans désastres. Mais il faudra bien parler ou franchir, en suturant ces plis, ces trous, les creux et les failles de ce monde. Face au silence, la structuration d’un Nous qui amplifie. Y. Torlini n’endosse jamais le Je, qu’il pluralise, ou ré-instancie en des formes plurales (Nous…), des dispositifs ou scénographies qui recontextualisent le flux continu (renouvelé) d’une Parole entre finir et a(d)venir, à entendre cette parole, si elle peut choisir de ne plus parler, de se placer au bord, en déséquilibre, dans une visée du « toujours plus que la fin ». Les relations complexes qui dissonent et consonnent des situations, de négations qui ouvrent à la confrontation d’un monde, de nuit, de langue dans les langues …

Présupposé existentiel (mémoire discursive du texte) et de montée en tension par des cycles de vitalités, des sensations peuvent échapper par calcification ou ossification. Avec ce risque d’un savoir de la langue qui se perd ou mue, la présence d’éléments de concrétion (pierres, glaise…), alternance du Tu et du Vous, une écriture de type oraculaire où les deux isotopies du savoir et de la langue se mêlent. Non pas une initiatique en termes de parcours, mais un devenir, « nous deviendrons moins que nous deviendrons l’infime et bien moins… », à donner partition à ce mouvement du devenir moins que : la chose, moins que et entre les choses, vers une cessation : et la promesse de l’accompagnement. Avec des formes oraculaires : vous saurez enfin vous verrez que notre silence n’a pas de limites. Au silence adjoint la solitude, et de ne pas laisser l’angoisse nous traverser, nous ne saurions plus rien que l’angoisse, l’idée du désastre et de cette force volonté, dans un mouvement qui ne ravaude pas le désastre mais lui donne sa puissance d’apparition dans la possibilité d’un éveil, ou de champ de tension et de bifurcation, une autre typologie de l’écoute, du regard (regarder vous tout au bord), le temps continuera lorsque nous cesserons enfin, notre langue morte rendue aux morts et à leur langue de morts enfin. Physique du corps et de la langue, sur le sens de ce qui lie les corps, corps entre les corps, frères dans toute la profondeur temporelle, des spectres et ses éléments naturels, les choses entres les choses, en un espace commun, formes accomplies ou désaccomplies de la relation, espace préexistant tout en étant aussi à recréer. /Sébastien Ecorce/     [Lire Cela 3]

 

plus rien. plus rien nous ne savons langue, plus rien savoir de langue nous ne savons plus rien. tout parle et ce qui dans les creux, tout parle sans langue nous parlerons sans langue tout parle. rien, et plus rien. ce que vous ne saurez, plus rien langue et creux. plus rien planches, fondations, charpentes. plus rien murs, cloisons ou clôtures plus rien. vous ne saurez plus ni langue ni habiter. tout parle et ce qui parle encore sans nous. vous saurez. vous saurez lorsque nous ne serons plus. vous saurez le quotidien et les matins clairs, les nuits douces et les saisons changeantes, la châtaigne et le coing. plus rien, vous saurez que plus rien, lorsque nous au-dessous bien au-dessous de nos langues, à ceux qui parlent et arpentent toujours la terre fertile de nos ancêtres. vous saurez que rien, plus rien, sans langue. vous saurez notre désir sans langue notre désir de n’être rien vous saurez que nous avons été.

ce qui ne tient pas et s’oppose. ce qui tient et refuse encore vous saurez. cascades et torrents, collines et combes, pins et roches, mousses et lierres, saumons et ours. vous saurez que nous avons été. vous saurez tous les désastres dont nous avons été. vous saurez ce qui nage et vole, ce qui coule ou glisse, ce qui rampe ou saute. vous saurez l’infinité de ce qui semble infime ou négligeable. vous saurez chaque mouvement chaque atome de la matière en mouvement. vous saurez que rien, plus rien et notre raison de refuser cela, à force, à bout de forces vous saurez. vous saurez que rien la langue, rien les mots, rien les idées, rien chaque parole prononcée, adressée à la viande. vous saurez que rien et peut-être bien moins ce rien. vous saurez lorsque nos os dissous dans le silence minéral vous saurez.

vous saurez qu’il ne sera plus nécessaire d’entasser remords, doutes, souffrances et sacrifices inutiles. vous saurez que chaque frère est proche, chaque frère dans la moindre motte de terre de ce monde vous saurez, à n’en plus douter. à ne plus douter de vos corps, des liens invisibles entre la bouche et le sentier, entre la jambe et la souche d’arbre, entre la main et chacune des aspérités de la roche qui fait obstacle vous saurez. vous saurez qu’il ne sera plus nécessaire, que rien ne sera plus nécessaire. nous en faisons la promesse, à nos frères éternels à nos frères innombrables et aux plaines silencieuses. nous en faisons la promesse.

nous connaîtrons l’épuisement. nous connaîtrons la résignation, l’angoisse des sentiments lourds et l’inutilité de nos vies. nous connaîtrons cela. nous connaîtrons cela et tout cela. nous éprouverons le désespoir et la peur l’effarement de nos corps qui luttent contre la nuit nos corps luttent dans la nuit. nous éprouverons le désespoir. nous éprouverons cela et tout cela. nous serons seuls absolument seuls et quelques milliers à ne plus essayer, à ne plus avoir le désir la force d’essayer encore, à être seuls toujours seuls dans le reflux des ombres, des gestes vains et des bouches emplies de terre. nous ne saurons plus devenir, nous ne saurons plus. nous connaîtrons les déserts du temps et de l’existence, les déserts dans chaque marge de ce monde qui s’efforce encore de signifier. chaque marge et quelques ornières encore nous connaîtrons cela et tout cela. nous ne perdrons pas patience. seulement notre force et à bout de forces nous le savons. nous le savons. nous savons que seuls les pierres et le ciel n’abandonnent pas. que seuls les pierres et le ciel peuvent tenir encore un peu dans ce désastre, dans l’immensité noire de ce désastre.

nous deviendrons l’infime. nous deviendrons l’infime et bien moins. nous deviendrons moins que la poussière et le temps qui s’accumule sur les êtres qui ne sont que de passage. nous deviendrons moins que les cendres et la masse des étoiles éternelles sur nos têtes nous deviendrons moins. nous deviendrons moins et bien moins, toujours bien moins jusqu’à l’infime et le ridiculement petit. le sang n’irriguera plus nos veines. nos cœurs battront moins vite nous n’entendrons plus le battement de nos cœurs dans nos tempes grises. tout ralentira tout cessera vous saurez que tout cessera en nous, tout s’arrêtera dans l’épuisement et le désespoir résigné. vous saurez que tout de nous cessera lorsque le monde et seulement le monde, lorsque seulement et plus la langue plus rien seulement. vous saurez. vous saurez ce monde. vous saurez ce que ce monde a fait de nos frêles présences.

vous saurez cela et tout cela. vous saurez. aux frères seuls nous offrirons nos solitudes, nous offrirons nos chairs mortifiées nos os rongés. aux frères seuls délaissés et sans voix vous saurez, vous saurez que nos solitudes vous accompagnent. aux frères seuls nous tairons tout ce qui vit encore en nous. vous saurez. vous vous saisirez de cette force si moindre et si désastreuse, nous tairons aux frères qui ne pourront plus vous saurez que notre échec vous accompagne. vous saurez que nos os auront servi à construire chaque abri frêle et fragile de ce monde, vous saurez, vous saurez nos os et chaque abri qui tiendra encore. aux frères seuls vous saurez enfin. vous verrez que notre silence n’a pas de limites. vous saurez enfin.

aux frères seuls à chaque instant seuls, nous ne vous promettrons pas de vous accompagner. aux frères seuls pardonnez-nous, nous n’en aurons pas la force, nous n’avons jamais eu la force. aux frères seuls nous dirons que chaque solitude devra être travaillée, assumée et portée comme seul le malheur peut se porter seul, à bout de bras, à force et à bout de forces. aux frères seuls nous dirons cela, nous promettrons de ne plus promettre, de ne pas laisser l’angoisse gagner chaque nerf et chaque recoin du crâne. aux frères seuls nous vous promettrons de ne pas vous accompagner sur le chemin du désastre. nous serons solidaires, sans jamais nous connaître vous savez, les siècles nous séparent et nous séparerons toujours. vous savez, frères seuls et sans force, vous savez que nous ne pourrons rien pour vous, comme vous ne pouvez plus rien pour nous. chaque solitude devra être affrontée. vous saurez comme nous l’avons su, frères seuls et obstinés.

vous saurez nos chemins vains, nos langues creuses et tues. vous saurez que partout où nos ombres nous auront accompagnés, partout, la solitude demeure. vous saurez cela, aux frères seuls nous abandonnons nos certitudes résignées, les chemins terreux et les angoisses chaque matin. nous laissons cela. nous vous laissons cela. cette situation est ainsi, depuis mille et mille et mille ans. vous savez. vous saurez.

nous ne saurons plus rien de ce qui nous entoure, plus rien à force de parler pas parler hurler notre langue de rien, notre langue des pierres, notre langue boueuse, notre langue qui s’étale dans ce désastre sans nom. à force d’appeler de nommer nous ne saurons plus rien. nous entasserons nous nous entasserons. nous entasserons tout ce qui nous a entassés. nous entasserons langue et pierres et essoufflements. nous entasserons nous ne saurons plus rien de ce qui nous a faits, de ce qui nous a entassés. frères vous vous rendrez compte de nos erreurs, de nos échecs et de nos soumissions, vous vous rendrez compte. frères vous saurez que nous avons essayé, malgré tout. vous saurez que la terre est plus dense que nos carcasses, que nous n’avons pas la force des lierres, que les rivières sont bien plus éternelles que nos rires, vous saurez. vous saurez que le sable est plus aride que nos bouches. vous saurez que le silence nous habite comme la nuit, que les racines entravent nos gestes, que la pluie empêche nos yeux et nos pensées. vous saurez. vous saurez cette langue que nous ne parlons plus. vous saurez ce silence que nous refusons. vous saurez que nos chairs empilées ne font ni un corps ni une présence. aux frères seuls vous saurez que nous ne saurons plus rien que l’angoisse.

de ce qui dure et persiste. de ce qui brûle et s’éteint. de ce qui se fane et pourrit. de ce qui frémit et blesse. de ce qui se répète, s’enroule autour des doigts, s’enroule autour de la langue, de ce qui glisse dans la nuit. de ce qui tremble et luit, de ce qui est doux et parfois rugueux, de ce qui résiste ou se déchire. de ce qui respire ou s’essouffle, de ce qui se croise ou se plie, de ce qui enfle ou diminue. nous ne saurons rien, plus rien. nous entendrons seulement les échos et l’appel sans nom des lendemains.

les nuits se succèderont. chaque éveil amènera un autre désastre. pourtant nous continuerons, pourtant jusqu’au bout, jusqu’à la fin. pourtant tout continuera avec le silence et la fin. chaque matin lent et inévitable pourtant, chaque effort comme le dernier, chaque silence toujours. nos voix sous les collines, dans les profondeurs des lacs gelés, sous chacune des pierres qui patientent dans les friches et les steppes. les nuits se succèderont vous saurez que les nuits se succèderont sans un geste. le temps continuera bien malgré nous. aux frères qui espèrent nous cacherons notre désespoir face aux forces tenaces qui peuplent et habitent ce monde. le temps continuera lorsque nous cesserons enfin, notre langue morte rendue aux morts et à leur langue de morts enfin. tout cessera et les nuits se succèderont. frères à venir par pitié ne suivez pas nos traces ni nos échecs flagrants et terribles. aux frères à venir les chemins se rejoignent puis bifurquent les chemins se rejoignent toujours pour bifurquer. nos voix ne traceront pas une carte frères à venir et bien plus lorsque nous nous tairons enfin et pour de bon.

flaques, ruisseaux, torrents et rivières, fleuves et océans. tout grandira tout grandira pour glisser vers l’anéantissement. tout grandira vous saurez que nos os ensemencent les collines vertes et fertiles. aux frères pas encore advenus nous ne laisserons pas notre résignation. terres et mers et forêts et plaines, et tout ce qui vit tout ce qui pousse et fleurit et existe frères nous serons partout lorsque la langue nous aura abandonnés, lorsque nous retournerons à l’origine lorsque nos poumons respirerons sous les racines du chêne frères vous sentirez notre présence millénaire. nous serons partout lorsque nos chairs seront devenues boue et silence. dans l’entièreté de ce monde peu vivable nous serons frères. frères encore, frères vous en serez persuadés, notre souvenir accompagnera chacun de vos gestes futiles et usés. pourtant, pour que ce monde demeure, vous poursuivrez les gestes. aux fleurs et aux chênes, aux orties et aux ronces, aux buis et aux lierres, à la fougère et au champignon, nous laisserons tout ce que nous ne sommes pas devenus, nous adresserons chacune de nos promesses intenables, nous tairons toute force en nous. aux frères et aux chênes nous nous tairons de toute force et à bout de forces, dans ce qui murmure encore vous entendrez vous ne nous entendrez plus frères, frères morts et à venir ceci est notre promesse solennelle.

tout cela finir. tout cela finir épines, écorces, ronces. tout cela finir terre tout cela qui ne tient pas tout cela ce monde ne tient pas. et comme une pâte nous tenons les interstices, comme une pâte nous tenons chaque élément avec son opposé, comme une pâte une glu chaque chose de ce monde tient, vous savez. vous savez que tout tient malgré tout. vous savez que chaque chose aura sa raison d’être vous savez, que de notre cruauté naîtra l’amour puissant et tenace. que de notre cruauté naîtra l’amour des êtres qui savent qu’ils retourneront à la glaise. vous savez lichens, vous savez pollens, vous savez blés et semences sauvages et indisciplinées. vous savez, ce monde n’aura pas besoin de nous.

tout cela, tout cela finir et toujours plus que finir, toujours bien plus au bord, toujours plus que la fin. tout cela à force finir et à bout de forces la fin. regardez-vous. regardez-vous tout au bord. regardez-vous en déséquilibre tout au bord. regardez-vous, les mains fébriles, les jambes frêles, regardez-vous ne plus respirer tout au bord. tout cela, tout cela finir et quoi d’autre que finir, quoi d’autre que la fin des commencements, la fin dans les commencements. regardez-vous la peau et la bouche et l’écho dans vos côtes. regardez-vous, tout ce qui palpite encore et tout à la fin, tout au bord, tout au bout de la fin et ce qui tremble, regardez-vous, regardez comme vous tremblez encore.

comme une boue vous tremblez regardez comme vous tremblez. comme une boue vous et nous. comme une boue notre langue et notre peau. comme une boue ce qui palpite tout au fond du sol et des côtes. vous et nous comme une boue le reste et tout le reste, tout ce qui reste lorsque les mots ne tiennent plus tout ce qui reste. comme une boue dans nos yeux et sous nos têtes comme une boue tout ce qui tient de vous. comme une boue tout ce qui vit et grandit en ce monde, tout ce qui meurt et ensemence et pousse à nouveau. aux frères sans armes face à l’inévitable, aux frères doux et résignés, aux frères nos mains comme une boue vous sont destinées. aux frères las, aux frères effrayés, aux frères sans devenir, comme une boue ce monde vous avalera. chaque désastre aura sa raison d’être. chaque désastre adviendra chaque désastre. vous entendrez nos voix lorsqu’elles se seront tues.

vous entendrez tout ce qui a choisi de ne plus parler. vous entendrez les siècles et la terre lourde sur nos épaules vous entendrez. vous entendrez ce qui suinte du temps qui ne passera plus. vous entendrez vous entendrez encore. vous entendrez les voix mortes et oubliées des frères sans vie, vous entendrez leurs voix, vous entendrez frères nos frères et leurs voix et tout ce qui lutte dans l’obscurité. comme une boue tout prendra forme, lorsque notre silence recouvrira chaque forme de ce monde. comme une boue vous entendrez, comme une boue lorsque nous refuserons de parler, de chanter, de murmurer ce qui travaille la matière de ce monde. à force et à bout de forces nos langues craqueront comme les branches sèches, ramperont comme les racines deviendront arbres, chênes, forêts. comme une boue tout viendra de la boue. tout viendra vous entendrez tout ce qui viendra.

nous garderons la tête haute, les épaules droites, et même lorsque bien au-dessous du sol nos corps. nous garderons la tête haute. nous avancerons encore nos nerfs et nos os, et quand bien même gratter la terre avec la chair et les ongles. quand bien même creuser nous avancerons pour garder la tête haute nous avancerons. à l’obscurité et aux eaux intranquilles, à la nuit et à l’effraie, nos yeux vous seront destinés. aux frondaisons et aux ronces vous deviendrez le repos de nos membres. vous deviendrez. nous garderons la tête haute et nos épaules nous saurons, nous saurons que des forêts sans âge pousseront sur nos corps allongés. nous saurons que les steppes patientent sous nos crânes. aux pierres et aux racines qui demeurent, notre sang luira dans vos nuits. nous garderons la tête haute et les épaules droites, dans ces jours très-bas et ressassés nous tiendrons.

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rédaction

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