[Nous présentons ici un texte de Jacques-Henri Michot, car nous pensons, que loin de devoir clore le débat, les questions qui se sont posées à propos des articles de sitaudis, ouvrent véritablement des questions sur la poésie, sa constitution et son rapport au monde, qu’il soit social ou politique. Or, l’un des lieux vivant de la réflexion nous paraît être le web, qui loin de n’être qu’un lieu précaire et de passage, est pour nous de plus en plus le lieu où une vitalité intellectuelle peut s’exprimer, où un débat d’idée peut avoir lieu. Nous remercions Jacques-Henri Michot de nous avoir autorisé à publier son texte.]
(Le texte qui suit est – à l’exception d’une note ajoutée après coup, et à quelques infimes modifications près – celui qui a été envoyé à Sitaudis, où il avait sa place, au soir du 11 octobre 2007. Il a été refusé par Pierre Le Pillouër, pour le motif que voici : “J’ai clos le débat public pour le moment de façon à laisser un peu retomber ces affects et à ne pas nous diviser davantage.” Sans commentaire. jhm)
TROP
(À propos de l’“affaire” Charles Pennequin)
Convient-il vraiment d’intervenir dans la rubrique “Excitations” ?
Pas de réelle sympathie pour ce terme, qui rappelle par trop les “coups de gueule” et les “coups de coeur” – “spontanéité” de pacotille – chers aux journalistes de tout poil.
Les “débats d’opinion”, en règle générale, me donnent plutôt envie de les fuir.
Mais, malgré tout, il arrive un moment où je me persuade que “trop, c’est trop”.
Plusieurs “trop” sont ici en cause.
TROP I (Sitaudis 2/10)
“OUI on a vieilli et on s’est sans doute ramollis dans le compromis et l’abus des raviolis.”
Qu’on me permette d’écrire que cette phrase est proprement lamentable.
Qu’est-ce que cette petite et rance sagesse des nations qui donne comme une évidence le fait que vieillir calme, amène doucement à céder sur le tranchant et la radicalité (ah ! les “compromis” !) mais qu’au fond du fond, ce n’est pas si grave, et peut-être même pas si mal ? Qu’est-ce donc que ce “on” qui implique la notion généralisante et molle de “génération” ? Cliché répulsif. Et on enrobe cela de rimes censées faire passer le tout dans une sorte de laborieuse drôlerie déculpabilisante.
(( Pierre Le Pillouër m’a reproché de n’avoir pas saisi – ce qui était pourtant clair – que cette phrase était “au second degré”, qu’il s’agissait des vieillissants “vus par…”. Le problème est que ce “second degré”-là fait vaciller un “premier degré” qui n’est guère éloigné de lui. Car, depuis TXT, n’y a-t-il pas eu, de fait, ramollissement et compromis ? Note du 12/10/07))
Allons-y, donnons allègrement des verges pour nous faire battre : Il en est que le fait de vieillir n’a pas ramollis le moins du monde, n’a pas conduits à céder. Pour ne citer que trois noms (qui ne sont pas des “poètes contemporains”) : Alain Badiou, Jacques Rancière, Eric Hazan. Au moins le premier d’entre eux, je n’en doute pas un instant, fera hurler les “démocrates”. Quoi, ce maoïste attardé, ce suspect d’antisémitisme (selon Eric Marty, récemment invité à dîner par Sarkozy), celui que, dans son dernier livre, BHL assimile à un fasciste, etc. ? Celui dont j’avais, au moment de la révolte des banlieues de novembre 2005, fait circuler un texte qui m’avait attiré, à l’époque, les foudres de PLP… Glissez, mortels, n’appuyez pas…
Dans le sillage du vieillissement, le retour sur le passé, du temps qu’on était jeunes. Et voilà qu’on est fier. De quoi ? Pas de ce qu’on a fait, mais de ce qu’on n’a pas fait. Bien étrange, cette fierté en négatif… : “On n’a jamais embarqué personne dans la justification du meurtre”. À entendre comme : on est fier de n’avoir jamais été aussi “irresponsables” que l’est aujourd’hui Charles Pennequin qui justifie, lui, le meurtre. Il faudra y revenir. Bien. LE meurtre. En réalité, le meurtre commis par des terroristes. L’état “démocratique” ne tue pas, lui. L’état “démocratique” n’est pas terroriste. Pour ne rien dire du massacre du 17 octobre 1961, une hallucinante et sinistre série de meurtres (dits “bavures”) perpétrés contre les “immigrés” depuis des décennies par la police de l’Etat français – pour ne s’en tenir qu’à lui, et que ce soit dans sa période de “gauche” comme dans sa période de droite -n’a pas nécessairement laissé de très nets souvenirs dans les esprits. Mais les meurtres perpétrés par Action Directe, la Fraction Armée Rouge, les Brigades rouges font encore frémir dans les chaumières qu’embaume le parfum des raviolis.
Serais-je donc un défenseur d’Action Directe ? Non. Mais je voudrais savoir si on ne peut pas juger plus révoltant que les meurtres commis le fait que ceux qui les ont commis soient
encore en prison, dans des conditions effroyables – alors que le serial killer Papon a pu finir paisiblement ses jours dans son lit. J’aimerais savoir aussi s’il est beaucoup de “poètes contemporains” et de leurs lecteurs qui s’émeuvent de cette abjection étatique. Je suis sûr que Charles Pennequin – au moins lui – est de ceux-là.
TROP II (Sitaudis 27/09)
(Où l’on ne parle toujours pas de Littérature)
“ton mépris de la démocratie et de ceux qui votent est répugnant, j’y vois les très poussiéreux mépris des gosses de la bourgeoisie.”. Charles Pennequin en “gosse de la bourgeoisie”, il fallait y penser. Passons. Par “de la démocratie et de ceux qui votent”, il convient d’entendre à l’évidence “de la démocratie, c’est-à-dire de ceux qui votent”. L’assimilation va de soi, n’est-ce pas ? Être démocrate, c’est voter, “accomplir son devoir de citoyen”, pénétrer d’un pas ferme dans l’isoloir, “déposer son bulletin dans l’urne” (plutôt funéraire, l’urne, ces temps, non ?), etc. Après quoi : vogue la galère. (C’est le cas de le dire, les galériens sont de plus en plus nombreux…) Ceux qui ne votent pas sont donc contre la démocratie, c’est clair. Il convient, pour être démocrate (de gauche), de voter Chirac contre Le Pen ou Ségolène Royal contre Sarkozy – et si Strauss-Kahn (qui est maintenant, avec la bénédiction de Sarkozy, président du FMI, c’est-à-dire d’une des pires institutions destructrices de la planète) avait été candidat, il aurait convenu, à n’en pas douter, de voter Strauss-Kahn. Car ceux qui ne votent pas font le jeu du pire. J’en sais quelque chose : pour avoir déclaré à un ami que je n’allais pas voter (je ne vote plus depuis 30 ans), je me suis entendu dire que “je ne savais pas la chance que j’avais de vivre dans une démocratie” (il faudrait demander aux sans-papiers, par exemple, ce qu’ils en pensent, de cette “démocratie”-là qui n’a pas attendu la droite pour accomplir son abject travail inégalitaire) , m e suis vu traité de “salaud” et de “dégueulasse”, et, pour faire bonne mesure, de nostalgique du totalitarisme maoïste, etc. Or, je peux, au prix d’un petit effort, “comprendre” ceux qui estiment “en leur âme et conscience” qu’il faut voter pour le “moins pire”, je ne les méprise nullement, j’ai, parmi eux, des amis… En revanche, les insultes fusent volontiers dans le sens de ceux qui vont voter “sans état d’âme” (CONTRE Le Pen, CONTRE Sarkozy…) en direction de ceux qui estiment devoir refuser ce rituel de plus en plus dérisoire. Les donneurs de leçons démocratiques sont toujours les mêmes. Et, d’une élection à l’autre, à quelques exceptions près, ils ne bougent pas d’un pouce. Tel, le vieillissement du même.
Tout cela est consternant.
Il n’y pas lieu de jouer au “maître explicateur”, comme dit Rancière, d’essayer de “prouver”que la “démocratie” électoraliste est devenue une caricature grotesque de démocratie, que la politique, et la démocratie même, se situent précisément au plus loin de l’acte de voter, etc. Y réfléchira qui voudra. Mais, de grâce, pas d’insultes ! Pas d’”excitations”, par pitié !
(TROP III, TROP IV, TROP V… Sur la “pègre”, sur Debord comme dandy, etc.)
DE CHARLES PENNEQUIN ET DE MESRINE
Autant le dire d’emblée : je tiens Charles Pennequin pour un des hommes les plus intègres que je connaisse – que j’aie appris à connaître. C’est pourquoi je trouve d’une vulgarité révoltante qu’à la date du 28/09, on ait pu lire sur Sitaudis : “Mais comme il lui faut gagner sa croûte et (se) produire à tout prix, il arrive à Pennequin de suivre le troupeau des performeurs.” “Gagner sa croûte”, “suivre le troupeau”… De quel côté est donc le mépris ?
J’ai toujours estimé que C.P. avait écrit de bons ou très bons textes, et de moins bons, voire, parfois, de pas bons du tout (selon moi) ; qu’il avait fait de bonnes ou très bonnes performances, et d’autres moins bonnes. C’est une banalité.
C.P. a écrit un livre, La ville est un trou, qui est peut-être, à mes yeux, son meilleur, son plus inventif, son plus tranchant. D’aucuns s’en sont rendu compte.
Après quoi, Mesrine. Et là, holà et halte-là ! Rien ne va plus. La critique des belles âmes révoltées est d’abord politique (voir plus haut) – et morale, pour faire bonne mesure. Citation (Sitaudis 28/09) : “Principe du chansonniérisme : tirer à vue sur n’importe quoi, faire des bons et mauvais mots sans la moindre réflexion, traiter la société par l’absurde et ridiculiser toutes les valeurs d’ordre éthique ou esthétique (je souligne – jhm).” Mais dites-moi, belle âme, quelle société, au juste ? Et ne serait-il pas plus juste de dire que C.P. ne s’en prend pas à ces Valeurs qui planeraient, à vous en croire, dans le ciel pur des Idées, mais qu’il s’en prend, bien plutôt, aux pseudo- “valeurs” d’une certaine société qui le révulse et lui hérisse le poil ? “Ta rage t’aveugle, Charles” (27/09). Charles a, de fait, quelque chose d’un enragé. (2/10) : “On a le droit d’être en rage et la rage seule peut nous faire tenir face à cette atonie qu’on nous donne à vivre.”) Mais je vois mal, si j’ose dire, en quoi il est aveugle. “Excessif” ? Et alors ?
Bref, on n’a pas idée d’une chose pareille : écrire (sur commande) un tombeau, choisir un tombeau de Mesrine, et, donc, essayer de comprendre Mesrine et les motivations de Mesrine. C.P. ne justifie en rien les forfaits de Mesrine, il tente d’en expliquer le surgissement en les intégrant dans une réflexion (je dis bien : réflexion – C.P. n’éructe pas (Sitaudis 7/10 : “Il y a peu de différences entre un concierge qui éructe – NB – Merci pour la corporation des concierges – et un artiste énervé”), il s’efforce de penser, je pense même qu’il pense de plus en plus- étonnant, non ?) qui porte à la fois sur l’époque de Mesrine et sur la nôtre. Pour donner une analogie contemporaine : justifie-t-on les funestes attentats-suicides palestiniens lorsqu’on essaie de s’interroger sur les raisons désespérées (fussent-elles jugées, par les “Occidentaux”, propres au “fanatisme islamique”) qui ont poussé à les accomplir ?
“Le chansonnier hait la pensée ; en quoi il apporte de l’essence aux bûchers où l’on brûle livres et tableaux” (Sitaudis 28/09). Écrire cela de C.P. est pure infamie.
Reste : le texte. Eh oui, on y arrive. “Le texte de Pennequin (…) s’appuie-t-il sur un travail suffisant d’élaboration ?” Ah ! la note professorale dans la marge ! Travail insuffisant. Doit mieux faire. Des progrès à accomplir. Mais, cher correcteur, n’oubliez pas que le texte de C.P. est, pour l’heure, un work in progress. Mon intention n’est pas de porter aux nues chaque phrase de son Mesrine. On verra plus tard. J’attends. Avec confiance.
Jacques-Henri Michot
Ah, j’étais un peu barbouillée ce matin, peut-être à cause des raviolis d’hier (ici à la MAPAD, le vendredi, c’est ravioli) mais voilà un article qui m’a bien réveillée ! Merci beaucoup.
Merci d’avoir publié ce texte, on aimerait bien lire Jacques-Henri Michot plus souvent !
Je trouve cet article Fuckin ‘ Remarquable. Pas besoin de developper , « JHM » connait bien tout le sens de cette phrase.
moi, j’ai un texte sur sitaudis… et j’aime la ville est un trou de pennequin
et j’ai un lien de sitaudis sur mon blog et je vais illicotement en mettre un de libr-critique que je visite de plus en plus souvent
et je comprends pas tout dans la vie et je fait plein de fautes d’othographe
je suis probablement déplorable…
Je découvre votre site avec cet article subtil et courageux face aux océans de vulgarité qui nous encerclent et cherchent à anéantir tout effort de résistance à l’emprise/l’empire de la bienpensance actuelle.Je ne connais pas Pennequin,mais je vais essayer de lire La ville est un trou.
Nous vous remercions de vos réactions. Ce débat, au-delà du différend avec Sitaudis, ouvr un réel espace de réflexion. Le texte de Jacques-Henri Michot – que nous lisons effectivement trop rarement comme le dit Laure Limongi – met en lumière le degré d’asepsie de cette époque, le fait que la littérature aussi parfois peut s’empêcher de s’ouvrir à d’autres principes de réalité que ceux qui sont en vigueur dans la société ou prôné par l’Etat.
Je ne suis pas favorable à une poursuite PUBLIQUE du débat : pour nous défaire de Sarkozy
(comme les Italiens se sont débarrassés de Berlusconi), nous aurons besoin des urnes et de TOUTES NOS FORCES alors que la division de la gauche sur la question européenne ne cesse de faire des ravages, que l’extrême gauche est fragmentée, les « modérés » ralliés au pouvoir et les syndicats divisés.