Mathias Richard et alii, Manifeste mutantiste 1.1, Caméras animales, automne 2011, 252 pages, 14 €, ISBN : 978-2-9520493-9-9. [Lire la présentation générale du dossier ; le 2e volet ; le 3e]
En 1980, tandis que prenaient fin les dernières avant-gardes historiques, Jean-Marie Gleize constatait : "la posture manifestaire est devenue anachronique" ("Manifestes, préfaces. Sur quelques aspects du prescriptif", Littérature, n° 39 : "Les Manifestes", octobre 1980, p. 30). Depuis, en des temps où le champ littéraire se caractérise par l’individualisme des carrières et le consensualisme des topiques, peu d’écrits se sont revendiqués de cette posture – laquelle a parfois été dénoncée pour être tombée dans le simplisme et l’opportunisme. C’est ainsi que, dans son essai polémique Visiter le Flurkistan ou les illusions de la littérature-monde, Camille de Toledo s’est attaqué au manifeste « Pour une "littérature-monde" en français » : "Les manifestes sont des objets de volonté et de pouvoir. Ils s’affirment par autorité, s’imposent par ruse et substituent à la pluralité des expériences esthétiques, des grilles de lecture suffisamment proches du réel pour s’en emparer. Publiés au moment opportun comme celui des voyageurs, ils fondent une histoire officielle : ici, le lent déclin du roman français épuisé par les idéologues des années 70 et le sursaut magnifique de quelques dissidents rejoints par les cultures du monde" (PUF, 2008, p. 18).
Aujourd’hui, voici que se manifestent, dans le prolongement de la philosophie deleuzienne comme du mouvement cyberpunk, de singuliers hacktivistes qui, regroupés autour de Mathias Richard, entendent fédérer une bonne partie des forces antilittéraires actuelles, à savoir celles qui se réclament des écritures expérimentales (agencements hybrides, écritures ludiques-critiques, multimédia) : ces mutants de l’espace littéraire sont "des objêtres, des instrhumains, biomaîtrisés, bioméprisés, lunaparqués" qui constituent "une somme de soustractions" (p. 17)…
Un manifeste postlittéraire
Si l’on suit Henri Meschonnic dans son Manifeste pour un parti du rythme (1999), "il y a un manifeste quand il y a de l’intolérable", de sorte que tout "manifeste est l’expression de l’urgence". Pour les mutantistes, l’urgence actuelle est d’opposer à l’intolérable mutation capitaliste – qui n’a produit rien d’autre que déshumanisation et uniformisation – des mutations (torsions) mentales, métaphysiques et esthétiques susceptibles de retourner la violence de l’époque en poésie. Une poésie baroque.
On le voit, si cette entreprise peut être qualifiée de "postlittéraire", ce ne peut être qu’en un sens radicalement opposé à celui qu’entend Richard Millet.
Une anti-théorie subinventive
Les énoncés (séries de répétitions/variations) comme les mots mêmes (mots-valises) font l’objet de mutations formelles. Un exemple : "Le santre : l’entre, le ventre, le centre et le sans/g : l’antre sans centre" (32)… Générateur de formes (textuelles, sonores, visuelles, filmiques, multimédia), le mutantisme est invention (de l’imarginaire à l’exploration de la réalité augmentée) et subversion. C’est ainsi qu’il redéfinit un topos littéraire : "Un snepll célèbre : la madeleine de Proust" ("Un snepll est la première occurrence d’une idée, d’un percept ou d’un concept, dans l’histoire connue des écrits" – p. 93) ; et que, plus généralement, il vise l’expérimentation/détournement des pernicieux mécanismes d’aliénation par addiction dont abonde la société médiacratique d’hyperconsommation.
Ainsi, parce qu’il ressortit à l’écriture réflexive (au sens optique et intellectuel du terme), qu’il est pratique poétique et invitation à la pratique, qu’il est à la fois subversif et inventif, ce manifeste est-il une anti-théorie (Fiat) subinventive.
Pas de réponse pour Sadou Czapka ???????????????????
Je m’obstine mais c’est important pour moi
Merci
Bise
Philippe répond dès qu’il le peut…
merci !
Pingback: Libr-critique » [Chronique] Mathias Richard, Machine dans tête