Julien Blaine et Richard Léandre, Je rougis, ed. Invidences vidéopoésie, col. Le point sur le i #15. ISBN : 978-2-916382-15-9. 20 €.
[Présentation]
Laurent Prexl et Stéphanie Elarbi semblent, à travers leur travail de restauration de la performance, poser une question pertinente. Si d’un côté les oeuvres plastiques peuvent être restaurées, se donnent comme trace, toutefois, une partie de la création contemporaine paraît échapper défnitivement à la mémoire, ne se donnant que dans leur propre immanence, dans leur apparition/disparition localisée aussi bien géographiquement que temporellement. Il s’agit là des performances. Toutefois, si leur question est posée, et le protocole de reconstitution de même est exposé, reste qu’il ne semble pas poser la question de la mémoire en liaison à ses médiations techniques. C’est ainsi que je me suis posé la question, les ayant vus au CAPC, de savoir pourquoi ils ne mentionnaient pas la vidéo, comme axe de mémorisation, comme lieu de la trace de ce qui de toute façon ne se donnera plus ni dans le travail de restauration, ni même dans la trace enregistrée.
Ce que nous donne à voir et à entendre Giney Ayme entre dans cette problématique. Nous le savons, Julien Blaine, performer hors-norme en France avec quelques autres comme Joël Hubaut par exemple, a multiplié les performances et les déclar’actions depuis maintenant plus de quarante ans. Tant de moments qui se sont refermés dans la seule mémoire de ceux qui y ont assisté, tant de moments fragiles, qui n’ont pas dépassé le temps de ce corps en mouvement. Toutefois, dans un certain nombre de cas, ses actions ont été saisies. Et ici c’est le cas de cette rencontre, à la densité affective forte, entre d’un côté Richard Léandre (on aura ici une pensée aussi pour Joëlle Léandre) à la contrebasse et de l’autre Julien Blaine. Si l’enregistrement ne sera jamais le moment tel qu’il a eu lieu, par la qualité de cette saisie, et la force de ce qui a eu lieu, toutefois, nous pouvons rencontrer cet instant, nous le réapproprier,, nous plonger dans les 40 minutes de ce croisement entre le poète et le musicien.
Car ce qui est toujours surprenant avec Julien Blaine, c’est en quel sens, loin d’utiliser la musique comme support — ce qui se fait dans beaucoup de lectures de poésie (voire la majorité), où nous avons à faire à deux lignes distinctes, amenant que la musique est subordonnée à la voix — il se mette en dialogue avec le son. Car Pour lui, la musique et sa sémiotique, ses tonalités, est une production de signes du livre de la nature, une poiétique que livre la nature au même sens qu’elle se livre dans la langue qui travaille la bouche du poète. Ce DVD est important car il rappelle cela, et donc en quelque sorte rappelle l’ensemble de sa poétique qui le mène à la naissance du langage. La musique n’est pas bibelot, n’est pas un supplément d’âme, mais est déjà le souffle qui s’exprime. Richard Léandre et Julien Blaine, deux poétiques qui se rencontrent et qui se lient le temps d’une performance, deux articulations de la vie qui se mêlent et se donnent dans une oeuvre unique.