Peu après la publication de La Nuit d’un seul et, tout récemment, de UNS, voici la première partie d’un entretien qui fait suite à celui paru sur Remue.net, justement intitulé "On ne sait jamais qui parle" (avec Armand Dupuy). Et avant que ne voient le jour L’Espèce (éditions Mots-tessons, hiver 2009-2010) ainsi que Et même dans la disparition (Wigwam, mars 2010), on fera plus ample connaissance avec ce jeune poète (1977) en consultant son blog et son site.
FT : Mathieu, si j’avance à brûle-pourpoint qu’à trente et un ans tu occupes une position à part dans l’espace poétique actuel, que réponds-tu ?…
MB : Salut papa, salut maman. Sans doute une question de généalogie. Une réponse généalogique. Salut papa, salut maman. Ça marque. Mon père, avec qui j’ai eu des rapports fusionnels, était chamane. Ça marque. Ma mère, qui ne m’aimait pas, était sourcière. Je parle d’eux au passé. Ce n’est pas qu’ils ne sont plus, non, c’est qu’ils ont disparu, comme les autres, dans le jeu des réseaux. Salut papa, salut maman.
Moi je suis né sous un réacteur d’avion – d’où mon goût pour le silence – un 23 décembre de l’année 1977, c’était en Bretagne dans les Côtes du Nord à 4 heures 25 du matin. Une position à part dans l’espace poétique actuel ? Je lis beaucoup, écoute, regarde, tout me semble intéressant même les inepties.
Les aventures numériques sur le net me passionnent. Je suis un avaleur de sens. Apolitique, je suis. Sans mode, je suis. Un entretemps. Vers, je vais.
Les miroirs font dans le noir des jeux que l’on ne soupçonne pas !
Après quoi, les générations sont ainsi faites qu’il y a toujours un entre-deux et c’est pourquoi j’existe dans le présent que tu m’indiques, je veux dire : dans l’espace poétique actuel. Il faut bien exister !
Par ailleurs, il y a eu les lectures, Nerval notamment, Aurélia m’a puissamment montré le chemin qui allait être le mien. Spinoza, Lautréamont, Le Grand Jeu aussi, quand j’étais plus jeune. Rimbaud bien sûr, en qui j’ai beaucoup cru. Violence pour permanence. Mon entreprise est une tentative de saisie brutale et immédiate du réel hors-de-soi, ce qui est et ne peut être que d’une actualité parfaite. La poésie est une démarche qui nous met en jeu avant d’être une recherche formelle.
FT : Bien entendu, je peux préciser un peu : à trente et un ans, non seulement tu as déjà publié quatre livres, en as terminé deux qui paraîtront l’année prochaine, as été édité par de nombreux sites et revues, mais en outre tu diriges le site Plexus-s.net, codiriges la collection « L’Inadvertance » sur Publie.net et prends en main les éditions de la Rivière échappée…
Par ailleurs, si tu recours à des formes très contemporaines (typographie complexe de ton Faust, ponctuation informée par l’informatique, discontinuité critique, recyclage discursif…), tu traites de motifs intemporels comme la nuit, la solitude, l’enfance, la disparition, la mémoire, etc., et ne cherches nullement à masquer un certain lyrisme, même si tu dépasses l’alternative entre lyrisme et littéralisme…
MB : Je m’interroge sur l’opposition lyrisme/littéralisme car elle est née d’un doute, celui de l’appartenance au groupe. Alors qu’on peut être les deux en même temps. Je suis une bête, je suis un signe. Ô mon merveilleux amour !
D’abord, il y a une forme textuelle, souvent une recherche, il y a ensuite un mode d’être, un positionnement. Il y a un ailleurs de la parole qui fait que ce que l’on dit est toujours ailleurs malgré soi. A moins d’être la parole elle-même. C’est dans le silence de l’action que se dit le nom de l’action. La danse est une copulation de noms et de formes. Qu’ils soient lyriques ou littéralistes. C’est dans la même poche. Ce serait séparer le liquide du foetus. Ce serait tuer le sens, c’est à dire, sa valeur au monde.
Mais je ne veux pas bifurquer : oui, des formes textuelles structurées et disséminées comme la pensée mouvante, juxtaposées comme l’impression des secondes sur une main tremblante. Ces formes-là, tu les entends plus contemporaines. Claude Simon était pionnier en la matière. Il faudrait le relire. Ne pas limiter sa pensée, son texte, à des thèmes entendus ne doit pas frustrer notre instinct à les évoquer. Question des idiomes, la langue de ma tribu, savoir parler pour se faire entendre, savoir parler pour détourner.
Aussi, malgré mon devoir d’innovation ou de révolution palimpsestuelle, cette nécessité, je n’évite pas les sujets déjà très visités comme la nuit, la solitude, etc. Oui. Tout ce que l’on est en train de toucher est par définition actuel. Il y a peut-être là, effectivement, un combat générationnel. Mais certainement pas formel. Car les formes sont des eaux, elles ne se séparent que sur ordre !
Moi, je suis trop fébrile pour cela, je ne morcelle pas les étalons de la pensée. Je dis cela car la poésie est magique avant d’être. Il y a une quête, une avancée qu’il y ait palimpseste ou non, la question n’est pas là.
FT : Et quelles perspectives entrevois-tu pour La Rivière échappée ?
MB : La Rivière échappée a été créée par François Rannou et Jean-Louis Aven en 1989 à Rennes. Je reprendrai en automne 2009 la direction de cette aventure éditoriale. Le pari n’est pas mince ! Il faut continuer et persévérer dans la cohérence du catalogue. La maison fera paraître six livres par an. On a déjà au catalogue une quarantaine de titres et celui-ci ne cessera de s’enrichir de jeunes auteurs. Même si La Rivière Echappée fera paraître un livre de du Bouchet chaque année, elle n’en demeurera pas moins ouverte à des auteurs nouveaux. A paraître : Armand Dupuy, Patrick Beurard-Valdoye, Thomas Augais, Christophe Manon, Alice Massenat, Olivier Apert, Olivier Matuszewski, etc.
Avec une camarade, Marine Jubin, nous souhaitons également créer une collection de romans et de récits. Nous avons pour projet d’exhumer des textes plus anciens, de grands qui ne sont plus lus, et de les remettre à la page. A suivre…
FT : Et puisque dans ton prochain livre, UNS, tu affirmes : « la modernité m’est impossible », j’aimerais que tu te situes par rapport à une modernité que ton écriture traverse pourtant…
MB : Comme disait l’Autre : " Je suis ce que je suis et ce qui me précède". Autrement dit, je suis une action qui se consume, des pas perdus.
Et moi, j’aime à répéter : "certains investissent les mythes, d’autres le corps immédiat. D’aucuns, par excès ou absence, redonnent sens aux formes qui, d’elles-mêmes, n’en ont pas." C’est le même schéma que tout à l’heure, c’est le jeu des formes et de leur renaissance. Etant transgénérationnel, il m’est difficile de me situer sur un échiquier ponctuel. Il y a un drame de la modernité : celui de se vouloir totale… alors que cela lui est impossible… On voit toujours ceux qui, drapeaux brandis, clament leur appartenance à telle ou telle action littéraire totalisante et totalitaire et on fait des manifestes et on décrit en revue ce pourquoi notre action se rapproche au mieux d’un objet littéraire parfait… tout cela alors qu’il n’est que des morceaux, des bribes d’un puzzle à reconstruire, une figure en proie au temps et dont nous ne connaissons pas d’état achevé ou même achevable. Comme visage humain, la littérature traverse les époques, en mouvement parfait, nous ne percevons que notre mort propre. Il n’y a pas de visage propre et terminé… Pas même les photographies, pas même elles, y remédieront. Et cela n’est pas suffisant. Je ne me revendique d’aucun mouvement passé ou futur, je fais tourner les aiguilles de la pendule à l’envers, je commence les livres par leur dernière page et mes nuits débutent chaque matin. Je ne me revendique de rien, la modernité m’est impossible, je pense qu’il est un ailleurs total dont nous ne sommes qu’un appareil. Dont nous ne sommes qu’un membre absent. Il est deux mondes dont celui que nous avons perdu.
Quel magnifique être! Je suis totalement fasciné par cette tournure de mot qui par moment si familière, me semblait pourtant venu de si loin… Touchant entretien. Qu’importe si brûle le pas… il n’y a qu’un pas à la fois pour vibrer totalement du présent. Félicitation M.Mathieu Brosseau!
Shégopasunçon
et quel bel homme ! un surfer poète ?
Je suis totalement fasciné par cette tournure de mot