Nicolas Baudouin est au carrefour entre écriture, photographie numérique et e-poetry. Son travail que l’on peut retrouver sur son site, interroge la question des traces, aussi bien la carte postale, que la photographie, que le souvenir, que l’architecture, que la dimension du web. Afin de mieux comprendre sa démarche, nous lui avons posé quelques questions. [Prochain entretien avec Fanette Melliez, à propos de son travail graphique lié à l’écriture].
Rédaction : En quel sens différencies-tu l’image argentique et l’image numérique ? Quelles sont les conséquences d’une telle différence, notamment au niveau de la circulation de l’image ? au niveau de sa définition en tant qu’image artistique ?
Nicolas Baudouin : J’ai longtemps pratiqué la photo argentique pour ensuite passer à la peinture pendant de nombreuses années avant de découvrir le numérique. Cela s’est fait par internet puisque étant peintre j’ai voulu créer un site afin d’y présenter mes huiles sur toiles. J’ai découvert photoshop et j’ai senti à quel point cet outil me permettrai de conjuguer photo et peinture et comment internet, plus qu’un simple outil de diffusion, était également un nouveau medium artistique. La luminosité des couleurs sur un écran et le nombre infini d’interventions possibles sur l’image m’ont profondément séduits ; de plus, mettre des images en ligne correspondait à les rendre potentiellement accessibles à n’importe qui n’importe où, c’est à dire à tout le monde… Un nouveau champ esthétique s’ouvrait, il fallait aller l’explorer.
Rédaction : Est-ce qu’alors la question de la saisie est aussi importante, si ce qui importe c’est une réflexion sur l’immatérialité du numérique et d’autre part le fait qu’il ne saisisse pas, mais qu’il interprète le réel comme tu l’écrit dans un de tes textes théoriques de mars 2008 ?
Nicolas Baudouin : La question de la prise de vue et de la saisie a été pour moi au coeur de mes premiers travaux ("Le Louvre", "Pickpocket" …). L’appareil photo numérique que j’avais acheté n’avait rien avoir avec l’argentique (un vieux Roleiflex 6X6) que j’avais longtemps utilisé. Par sa discrétion toutes les audaces de prises de vues étaient permises et les aspects techniques (lumières, contrastes, couleurs …) se réglaient ensuite avec l’ordinateur, et c’est justement durant ces interventions qui remplacent le travail en chambre noire que viennent s’affirmer les qualités numériques de l’image puisque l’intervention se fera au niveau élémentaire de l’image : le pixel. L’opposition photo argentique/photo numérique prend ici toute sa dimension philosophique ; en effet bien que l’acte "prise de vue" reste similaire dans le fait de cadrer un fragment de réalité, l’enregistrement de ce fragment est tout autre puisqu’il ne s’agit plus d’une "trace" physique et chimique de ce "qui a été" comme le disait Barthes mais d’une interprétation algorithmique qui a donc perdu toute valeur de preuve et sur laquelle on peut intervenir à son niveau le plus élémentaire. L’image numérique a perdu tout lien matériel avec la réalité dont elle rend compte. Cela a des conséquences importantes car c’est cette dématérialisation qui permet cette facilité de diffusion (via les réseaux) mais qui pose cette autre question fondamentale pour une image "artistique" : quelle valeur marchande lui attribuer puisque d’objet il n’y a plus ?.
Rédaction : Quelle est la place de la trace de l’écriture dans ton travail numérique d’écriture ? Par exemple, dans situations, qui représentent des photographies urbaines, on voit tout à la fois des scènes avec des individus, et d’autre, de paysages urbains solitaires, or, dans les deux cas, une présence s’inscrit à même les murs, des mots, des marques, des tags ? Est-ce que cela traduit une recherche sur l’écriture éphémère ?
Nicolas Baudouin : L’écriture s’est imposée naturellement dans mon travail dès que j’ai abordé l’interactivité propre à Internet qui permet d’un clic de passer d’une page à l’autre. Ca a commencé avec les "contes numériques" dans lesquels j’associais images et textes au service d’une pseudo narration absurde; vint ensuite cet intérêt pour la relation ambiguë entre la phrase et l’image où on ne sait plus lequel illustre l’autre c’est à dire si le texte propose une ou plusieurs clés pour ‘lire" l’image ou au contraire si l’image est un indice pour mieux comprendre le texte ; ce mystère m’intéresse et rappelle un peu Magritte qui, une fois un tableau terminé, invitait ses amis pour ensemble trouver un titre rendant l’image encore plus obscure. Quant aux paysages dont tu parles et qui sont pour la plupart des paysages urbains vides de tout habitant (je pense en particulier à la série "Pézenas") il est vrai que la présence de mots saisis au hasard des prises de vue vient ajouter une poétique à l’intérieur de l’image et renforce ainsi le silence de ces paysages urbains. Ma série de "cartes postales" est peut-être l’expression la plus élémentaire de ce jeu ambigu entre le mot et l’image car en écrivant "Bruxelles" en rouge sur un paysage de toits en tuiles le lecteur ne peut s’empêcher de douter car rien de particulier dans l’image ne permet de reconnaître "Bruxelles"…si ce n’est ce mot en rouge.
Rédaction : De même sur cette question de l’écriture, ta dernière série, who_où, est une série de photographies (paysages /portraits) où sont donnés trois dimensions : a/ la photographie; b/ un texte en français, c/ un texte en anglais : qu’est-ce qui se joue dans les écarts de ces trois dimensions ? Comment penses-tu la relation entre énoncé et d’autre part photographie ? Y a t il un principe de diffraction ?
Nicolas Baudouin : En ce qui concerne l’utilisation de l’anglais dans mes dernières séries ("translation"et "who/où ?") c’est effectivement dans la perspective de rajouter une troisième dimension qui viendrait brouiller d’avantage les lectures en proposant un nouveau rapport : celui entre le texte en français et celui en anglais. En effet, contrairement à ce qui se fait d’habitude, il ne s’agit pas de traduction ; les deux textes semblent se faire écho tout en proposant des clés différentes concernant la lecture de l’image: le trouble n’en est que plus subtil il me semble.