Klaartje de Zwarte-Walvisch, « Et tout s’effondre » (Journal du camp de Vught), Editions Notes de nuit, Paris, juin 2016, 182 pages, 18 €, ISBN : 979-1-09-317610-9.
Se segmentant en séquences temporelles inhérentes au genre du journal, le livre de Klaartje de Zwarte-Walvisch souligne l’horreur du réel. Le texte fonctionne par ricochets qui interrogent le temps de la politique la plus horrible. Aucun chant n’est plus possible : reste la colère sans illusion mais non sans rêve.
Klaartje de Zwarte-Walvisch est une sorte d’Anne Franck. Comme elle, elle vécut à Amsterdam et fut condamné à mort par la barbarie nazie. D’elle, il ne reste rien ou presque. Juste quelques photographies et surtout son journal. La couturière néerlandaise qui ne s’était pas fait enregistrer en tant que juive comme la loi l’exigeait fut arrêtée avec son mari en mars 1943 : elle mourut à Sobibor en Pologne.
Son journal part du jour de son arrestation jusqu’à celui où elle quitte la Hollande pour la Pologne. L’auteur y décrit la vie au camp de Vught où seront détenus 12000 juifs. Ce sont d’abord les enfants du camp qui partent à Sobibor. Klaartje de Zwarte-Walvisch décrit – entre autres – cet événement qui fait trembler d’effroi tout le camp : « Nous ne pouvions le concevoir. S’est-il jamais passé une chose pareille dans le monde ? Qu’est-ce que cela signifiait ? ». L’auteur n’a pas d’illusion sur la réponse.
Le « pressentiment » qui dicte la forme du livre est celui de la mort. Dans le refus du formalisme il se fonde sur la précédence de l’idée de la prose, ou de son réel pressenti. La pétrification prochaine des corps tombés au fond du trou du camp de transit est en marche. Mais demeure une prose de la mémoire, une forme de prose mémorable qui rend sensible le procès de sa formation.
L’espace d’interprétation transhistorique se déploie loin de la force d’inertie que tout genre (selon Jean-Pierre Faye) porte en lui. L’auteur – car justement elle ne se veut pas « écrivaine » – en crée le débordement latent, son involution, l’allègement de sa force d’inertie. Paradoxalement, la littérature continue ou advient comme sa propre infinition. Avec cette tension vers plus que lui-même, le journal ne « sert » plus de catégorie de rangement. Celui de Klaartje de Zwarte-Walvisch se donne la chance d’exister autrement car s’y joue l’invention d’un sens particulier à accorder à l’histoire qui broie les sans-grades : l’auteur est couturière, « sans aucune relation » précise-t-elle. Cela donne une « intensification de la prose », un « mouvement ».
Tout l’univers de la Shoah tient dans le journal de l’inconnue, sa perception sensorielle, sa pensée lucide puisqu’elle porte d’avance le fil conducteur, le tragique et son au-delà. Le journal en déplie successivement bien des pans. Ecrit à l’horizon d’un temps compté qui devient trou noir « Et tout s’effondre » est un livre – forcément – terrible même s’il se refuse à tout pathos. Il reste celui de l’annonce des crimes qui se fomentent parfois dans l’hypocrisie la plus totale, comme si les bourreaux avaient honte (du moins certains d’entre eux) de ce qu’ils trament. Le tombeau du rêve d’un langage futur se referme par le poids de l’histoire. Il plonge dans un sommeil que soudain la redécouverte du texte secoue : il résonne non dans un mythe de la résurrection mais d’un rappel à la vigilance.