Alice ROLAND, Portulan, P.O.L, été 2019, 256 pages, 18,50 €, ISBN : 978-2-8180-4543-5.
Un portulan est d’abord une ancienne carte nautique (XIIIe-XVIe s.) donnant des précisions sur les rivages de façon stylisée ; au sens moderne, c’est un livre décrivant les ports et les côtes.
Soit le plan du métro parisien comme forme / force modélisatrice… Une petite révolution toponymique, et on ouvre les possibles : le moteur à explosions génère des trajectoires et des micro-histoires. Prenons par exemple la Ligne 7, « Cour d’immeuble – Un fourreur / Nuit d’ivresse (parcours érotique ?), dans les deux sens : puisque « divisée en deux branches » à partir de la station Blouse blanche, le texte fait de même ; et le lecteur de suivre chaque colonne ou d’opérer un va-et-vient entre les deux, passant d’une part des infirmières au neveu et à la zibeline du fourreur et d’autre part d’un délit à la Nuit d’ivresse via un qui cherche des noises, un bris de verre et des odeurs de cuisine Riz, graine et rougail (Rien de bien émoustillant, en fin de compte)… Et en sens inverse, les mêmes stations en caractères gras, avec d’autres précisions plus ou moins anecdotiques.
Cette ingénieuse déambulation réticulaire peut être qualifiée d' »anti-romanesque », dans la mesure où elle se situe aux antipodes du romanesque conventionnel qui domine encore l’espace labellisé « littéraire » : nul hasard et nulle aventure artificiels, mais des éléments narratifs, discursifs et descriptifs en étroite corrélation avec la poétique onomastique. On y croise le Dr Gachet, Gorky, un pseudo-Pasolini… Un Père Ubu qui « bazarde / Un poster de / Franz Kafka / représenté crachant du sang » (p. 156)… des éphèbes et même ce type de créature : « Valie Export / , superbe pornoterroriste jambes ouvertes en 1969, taureau se prenant par les cornes, saisissant les autres, ne reculant devant rien de scabreux, refusant la honte, parlant, agissant, montrant et, faisant son art, ne laissant d’autre chance aux dires dominants que de ridiculement » (61-62)…
Une aubaine, en cette « rentrée-littéraire » !
PS → On goûtera ces quelques exemples de l’inventivité toponymique déployée : la fameuse ligne 1 « La Défense-Château de Vincennes » devient « Des danses-Vingt seaux de châtaignes » et la 4 « Porte de Clignancourt-Mairie de Montrouge » Là où l’on court-Marmite d’orge… La station Trocadéro se transforme en « Cours Sautereau », Iéna en « Y en a », La Muette en « Mutatis mutandis », Opéra en « Caméra », Madeleine en « Poudre de riz »…