Jean-Paul Gavard-Perret nous ouvre un portfolio fascinant, que nous devons au duo Rynski/Pop.
Sue Rynski, End of the night, texte d’Iggy Pop, Chez Higgins, Montreuil, 200 Euros.
Après la sensualité flashy des feux d’artifice des tigresses rock-star et la foudre de leurs accords sauvages, Sue Rynski restitue leur autre ivresse plus délétère. Elle monte lorsque derrière les reines des spotlights surgissent les perdantes magnétiques. La clarté est moins lumineuse, elle est même obscure et non seulement car il se fait tard. Néanmoins, des mains se tendent de désir vers les Vénus défoncées. Aux heures tardives, elles ouvrent de manière parfois inconséquente leurs courbes de guitares pour mettre encore le feu à l’encens des chairs. Dans la fuite de la nuit, le jour ne se lève pas encore. La photographe y demeure inaltérable et saisit les déesses des scènes alternatives en "back-stage" lorsque les noctambules y apprennent d’autres accords que ceux des guitare-héros : celui de l’alphabet de l’infini dans la reddition de regard (sous les cils d’iris noir) de ces rock ladies qui retournent bon gré mal gré à la source de leurs blessures, au plomb de leurs réalités déconcertantes, au feulement d’un désespoir, à la disparition de l’or et des strass.
La force des portraits de Sue Rynski tient à leur violence sourde : celle dont chaque personnage est victime et bourreau et dont la photographie devient la narration. L’artiste ose mettre à mal la « frime » et les (im)postures. Reste un érotique désir d’exister. Ce qui mène la photographie à l’anaesthésis, là où le corps ne voudrait plus souffrir et prend divers produits pour ça. Une fois le « show » terminé demeure une misère de bas-fonds, de cours des miracles que la photographe saisit. Les couleurs sombres et intenses prouvent que la cendre a remplacé le feu. La photographe touche au bout de l’impossibilité d’être. Une fulgurance visuelle marque la puissance progressive de thanatos qui ronge l’éros. L’artiste se détache pourtant de toute mélancolie : le présent est fractal.
Sue Rynski s’y dévoile à la recherche de ses « sœurs » et l’attention qu’elle leur porte. Exit les rêves. Mais la médiocrité du monde est tout sauf complaisante. La photographie engage donc le corps dans une expérience impressionnante. De telles images ne se quittent pas : elles traversent le regard de leur puissance délétère et leur magie paradoxale. De tels portraits sont des romans noirs, des nouvelles tragiques. Un cinéma muet aussi. Plus besoin de dialogue de cire ou de circonstance. Ce sont aussi des réponses "militantes" à la cruauté d’un réel souvent passé sous silence. Dans les lieux que fait découvrir l’artiste, les allers sont sans retours. Toute conscience lucide en est extraite. Les corps l’ont perdue. Et leur âme avec. Ça a un nom. C’est l’existence. L’existence dépouillée. Une fois que la fête est finie. Avant qu’elle ne recommence.