Emmanuel Adely, Baby Land, ed. Le passager clandestin, 158 p. ISBN : 878-2-9169952-11-6. 25 €
[Extrait]
Pour commencer
En Europe 75 % de la population est urbaine. Comprendre la ville. Voir des villes. Aborder les diversités d’une même réalité. Multiplier les regards. Ceux des jeunes de la Seine-Saint-Denis mais aussi ceux des urbanistes, des architectes, des artistes, des élus, des enseignants, …
Demander à un écrivain de regarder aussi et d’écrire sur la ville. Conserver ces regards, ces enretiens, ces écrits, ces photos, ces photos de photos et rendre cohérents tous ces matériaux pour donner une réflexion contemporaine et multiforme de la vlle de la Seine-Saint-Denis.
Montrer tout ce qui participe de la ville, de ses formes, de ses couleurs, de ses déchirures, de ses bonheurs, de ses espoirs, …
c’est ce qui a donné naissance à ce livre.
[Chronique]
Tout d’abord dire à quel point ce livre est très bien réalisé, de très nombreuses illustrations conçues par Nous travaillons ensemble et beaucoup de photos ponctuent, soulignent, diffractent les pages, interviennent pour ouvrir le cadre de l’écriture croisée, professeurs, artistes, architectes, collégiens, lycéens et de l’écrivain.
Car ce livre n’est pas seulement celui d’Emmanuel Adely, mais se présentant, recto-verso, si d’un côté, nous suivons un travail d’architecture textuelle d’Adely, formé en abécédaire, de l’autre nous faisons face aux interventions des adolescents, de leurs professeurs, d’urbanistes qui se réapproprient l’espace de la ville au cours des expériences d’exploration urbaine qui ont été menées avec 6 classes différentes.
Ce projet a été lancé initialement par l’association "Citoyenneté jeunesse" en direction d’élèves de la Seine-Saint-Denis, à partir d’un questionnement touchant la ville : "Et si la ville pouvait devenir un sujet d’interrogation et de réflexion ? Et si s’intéresser à la ville permettait de tenter d’y voir clair sur la condition de citoyen ? Et si nous nous donnions les moyens de la lire la ville comme on lit un livre pour comprendre où nous sommes et envisager où nous pourrions être ?"
Ce livre est une forme de compte rendu des expériences, de document de ce qui a eu lieu et de la manière dont cela s’est passé.
Ce qui ressort c’est à quel point, cette expérience a ouvert un espace de perception pour les enfants/adolescents leur faisant découvrir ce qu’il ne pouvait voir auparavant. Non pas d’échappée de la ville, mais un retour sur la ville par des voies détournées, des lieux qu’ils ignoraient et qu’ils ont pu explorer aussi bien à travers le langage, la photographie que le dessin.
Les ateliers d’écriture sont pour les adolescents la possibilité de rompre la circularité existentielle dans laquelle ils ont été inscrits, aussi bien socialement, que culturellement ou économiquement. L’usage de la photographie amène à changer le point de vue, la perspective, la focale de l’oeil. Par ce speculum, un processus de mise en lumière s’opère, ce que la vue ne pouvait auparavant percevoir, se révèle, car le premier révélateur photographique, n’est pas celui du développement, mais bien celui du cadre. De même l’écriture, par ce qu’elle propose, par ses opérations linguistiques, ses torsions propres, ses stratégies énonciatives et critiques, ne peut être assimilée ou confondue avec la parole habituelle, mais elle en dessine la limite, en offrant les possibilités de représentation, d’interprétation voire d’imagination du réel, insoupçonnées. Tel que l’exprimait en 1996 François Bon au cours d’un atelier d’écriture à Bobigny avec des collégiens, atelier d’écriture portant sur la ville : "et si
Ainsi l’atelier d’écriture, initié par des écrivains, n’est ps seulement une expérience littéraire, mais elle ouvre une dimension politique. La question de la ville, de l’habitation étant bien évidemment fondamental quant à cette perspective. ce que rappelle d’ailleurs d’emblée Emmanuel Adely : "La problématique de la ville étant particulièrement large, c’était en effet une expérience passionnante du point de vue de mon écriture. Il est intéressant de parler d’un problème extrêmement politique car, à mon avis, l’écriture doit être quelque chose de politique". De fait, si pour beaucoup d’adolescents la lecture s’amenuise (demandant tous les ans dans la fiche individuelle de mes élèves de TL, combien de livres sontlus par an : le constat est sans appel, en moyenne 3) et la possibilité de découvrir les écritures contemporaines propres à les amener à réfléchir sur le monde dans lequel ils sont immergés étant pratiquement nulle, alors la création de ces ateliers d’écriture est non seulement nécessaire, mais aussi urgente. Heidegger, dans Bâtir, habiter, penser, exprimait le fait, et il y a de cela de très nombreuses années, que nous étions dans une crise de l’habitation. Crise, au sens, où nous ne savions plus habiter le lieu où nous sommes. Habiter : à savoir construire ce lieu en tant qu’être, et non pas seulement pâtir du lieu. Si la réalité est bien une construction symbolique, dont les individus ne sont aucunement les producteurs ou les promoteurs, alors le travail de l’écriture, par ce qu’il nécessite de dépelliculisation entre les mots et les choses, de torsion dans les structures et agencements constitués, ouvre la possibilité de repenser la manière don nous habitons le monde, la ville, et dès lors de construire ce lieu où nous sommes.