Lise Beninca, Balayer, fermer, partir, ed. Seuil, col. Déplacements, ISBN — 978-2-02-095336-8 Prix: 13 €.
[Extrait]
La passivité me prend dès que je suis seule. Une inertie mauvaise qui engourdit le corps. Jean s’inquiète que je reste assise trop longtemps sur le rebord du lit, sur le rebord de la baignoire. Jean s’inquièterait de me voir assise là, les pensées par associations tournant et tournant. Tu ne vas pas mettre deux heures pour te sécher, quand même. C’est que parfois l’idée d’action perd de son sens. Il me semble qu’il serait tout aussi bien de rster sans bouger, ne plus rien faire, ne plus m’inscrire dans des gestes, rester assise sur le rebord de la baignoire et m’arrêter là. Sors de la salle de bains le café refroidit. Quelle image de moi livrer aux yeux du dehors, dans quel corps me montrer, cheveux tirés le visage en avant avec sur la bouche un peu de rouge à lèvres. Je passe du temps à compter les petits carreaux de faïence qui décorent le pourtour de la baignoire. Du bleu du blanc du bleu.
[Chronique]
La mémoire et l’espace sont les deux pôles qui structurent l’ensemble du livre. Peu d’intrigue, mais plutôt la chronique d’une forme de dépérissement d’une femme — la narratrice — en relation à la question du lieu et de la mémoire.
Ce petit récit se compose selon deux trajets temporels précis, d’un côté les flash-backs, qui sont liés à la maison d’enfance et à sa construction par le père, et de l’autre la ligne du présent liée à l’appartement qu’elle loue avec Jean — son ami — dans laquelle elle s’abîme, durant une période où elle se retrouve seule. Deux trajets qui se répondent : d’un côté une construction de la maison familiale qui mène à une forme de folie du père, de l’autre la perte de repère de la narratrice en liaison à sa propre demeure.
Ce sur quoi l’ensemble insiste, tient à la relation de miroir, entre l’espace et la personne. Récit monologué intimiste, où l’espace du dehors pénètre et résonne dans l’espace mental, en même temps que simultanément, le délabrement mental intérieur se projette sur la réalité spatiale du dehors. Dans ce jeu de va et vient se compose ainsi — par exemple — une simultanéité de pourrissement entre d’un côté un mur et de l’autre l’esprit de la femme happé par une forme d’anxiété, issue tout à la fois, sans doute, d’un motif de souvenir qui la hante, et d’un espace physique dans son appartement qui devient le point nodal à partir duquel la réalité se diffracte, se décompose, se disloque au fur et à mesure de la dislocation de sa pensée.
Lise Benincà reprend cette problématique, comme elle l’énonce dans sa postface, de Perrec et d’une expérience que lui-même a pu faire, expérience liée à une contrainte non seulement d’écriture, mais de lecture.
Ainsi, comme elle le rappelle [pp.100-101], en 1969, Perec a réalisé une forme d’écriture du lieu obéissant à une double structure : d’un côté une écriture à propos de lieux le ramenant au passé, écriture descriptive, parlant des personnes qu’il y avait connu, et de l’autre une écriture de lieux au présent, écriture se devant alors d’être neutre, ne tendant qu’à la saisie descriptive. L’ensemble de ces deux écritures, devant rester durant douze ans, sous scellé, avant d’être lu. Douze ans après ce qui devait ressortir, était comme l’auteur nous le rappelle : “ La trace d’un triple vieillissement : celui des lieux eux-mêmes, celui de mes souvenirs, et celui de mon écriture”.
Ce nouveau titre de la collection Déplacements, dirigée par François Bon, explore une voie plus personnelle et plus narrative que d’autres titres qui appartenaient davantage à la poésie contemporaine (Jérôme Mauche ou Béatrice Rilos) ou encore à des formes expérimentales (Pascale Petit). Toutefois, par le trajet monologué, nous découvrons une expérience littéraire, qui traduit assez singulièrement l’altération de la conscience.
SANITAIRES
Quel dommage que la baignoire
Ne soit pas d’acrylique pourpre
Et la faïence de sucre vert
Les salles de bain de la psychédélie
Ressemblent plus à des pinèdes
Qu’aux faubourgs de Curaçao
Où les corps de ballet
Maquillent leurs entrechats
Dans la moiteur de l’éosine
Et les flonflons de la valse
gmc, pour diffuser ta poésie, tu sais, tu peux te faire un blog personnel, je promets d’y aller voir.