Daniel Foucard, Civil, ed. Léo Scheer, collection Laureli, 190 p. ISBN: 978-2-7561-0109-5, Prix : 16 €.
[4éme de couverture]
Josh Modena rêve d’une police intègre, puissante et respectée. Josh Modena rêve d’une osmose républicaine où tous les idéaux se réfèrent aux lois. Josh Modena rêve d’un goût retrouvé pour l’ordre souverain dans lequel tout civil se reconnaît. La réalité lui a déjà donné raison.
Josh Modena n’évite aucun sujet délicat. Josh Modena répond à toutes les questions. Josh Modena expose clairement les problèmes. Josh Modena illustre le concept par l’anecdote. Josh Modena fait sentir le métier de policier. Le réel est son unique ambition.
Josh Modena se fout des critiques. Josh Modena connaît le revers de la médaille. Josh Modena sait aussi que nettoyer c’est faire du dégât. Josh Modena assume ce que d’autres fuient. Josh Modena glorifie l’État de droit. La réalité est incontournable.
Josh Modena est instructeur dans une école de Police. Il a une semaine pour former et désigner ceux des candidats qui seront dignes d’exercer. Son obsession est de les faire à son goût : flics modèles, auxiliaires du seul Code Civil, pivots de la liberté.
[Chronique]
Avant de pénétrer dans le coeur du livre, dans son intrigue, car derrière l’apparence de cette formation policière, une véritable stratégie de narration se met en place comme cela a été indiqué par de nombreuses analyses (cf. entre autres, l’analyse de Nathalie Quintane sur sitaudis), arrêtons-nous sur le titre : CIVIL. Le titre, si on y prend garde dévoile toute l’intrigue de l’histoire (son retournement final), mais aussi peut permettre de saisir l’un des principaux enjeux politiques pour Daniel Foucard.
Dans son entretien avec Laure Limongi, il explique que pour Josh Modena, le personnage principal, "L’Etat de droit n’est pas en déclin, mais qu’il va revenir d’autant plus puissamment dans les années qui vont venir parce que cela va être une nécessité et qui prend ses sources même parmi les populations les plus jeunes". C’est en effet ce que Josh Modena énonce : "Le topo sur le déclin de l’Etat nation est une vaste plaisanterie. Loin de décliner, il continue de prospérer. Il est illusoire de croire qu’un mode d’organisation de la société puisse se passer de frontières. Les civils ont besoin de savoir que leurs lois ont des frontières (…) Aucune société n’a prouvé son aptitude à se passer de règles coercitives ni même à se passer d’un lieu défini où elles s’appliquent" (p.85).
En cela, Daniel Foucard insiste sur le fait que la loi, le désir de la loi, est inscrit dans chaque corps, dans chaque être, non pas seulement celui des policiers ou des aspirants policiers, mais aussi simultanément dans celui des civils, qui sont sujet de droit, civus, citoyen. Ici, on ne peut, ne pas penser au Très Haut de Blanchot, où Sorge, explique en début de livre, que chaque citoyen a incorporé la loi comme son propre mode d’être, au sens où il se place tout à la fois dans le corps de l’Etat et comme représentant de la loi de l’Etat. Vision hegelienne s’il en est une. Mais tout à l’inverse du livre de Blanchot, alors que Sorge va s’inscrire dans une forme de dépérissement face à cela (il devient souci), Josh Modena, va revendiquer cette assimilation de la loi comme son propre mode d’être, et par ce qui survient à la fin du livre, être le témoignage explicite que la loi n’est pas seulement l’apanage de la police, mais qu’elle est le lien de toute forme de relation civile dans le monde (nous laissons en suspension son sens), qu’elle a sa source comme matrice même de notre être en société. La Police est le symbole de la loi, son incarnation spatiale, ce qui l’amène à conclure à la fin de la 5ème et dernière journée de formation qu’il donne aux aspirants : "quand [le civil] voit la Police, il se sent aimé" (p. 153).
Civil, est donc la description, d’une société, île de Fun, où la loi va s’appliquer à tout élément. Pas seulement, aux faits délictueux, aux individus louches, junky, transsexuel, ou autres, mais aussi aux chiens, aux objets, et en définitive être la réponse à tout ce qui pose problème, y compris aux manies des aspirants policiers, car "si la police n’a rien avoir avec [les] manies [de Hind 8 ème au concours de recrutement]. Simplement, elle peut l’en libérer" (p.82).
L’intrigue de Civil se situe donc dans le cadre d’une formation de policiers, dans une société, qui n’est pas la nôtre. Ici, on retrouve le principe de mise en abyme de la réalité sociale et politique de Daniel Foucard, tel qu’il l’a entreprise dans ses autres textes, mise en abyme selon une forme de déterritorialisation. En déplaçant le cadre du récit, il crée des formes de porosité plus insistante, plus inquiétante. La déterritorialisation devient principe de fiction révélante. À l’inverse d’une approche frontale, le déplacement permet de créer un dépelliculage, qui fait apparaître les processus logiques de notre réalité. La construction de l’image, se reflétant sur notre monde, fait saillir les traits de celui-ci, dévoile par subreption ce qui dans notre monde reste logique voilée.
Car, ici il ne s’agit pas de mettre en critique la police, ou encore l’ordre policier, mais bien plus de faire apparaître à quel point nous sommes plongés dans une société où le désir de l’ordre domine la conscience des civils, à savoir leur expression. Ce livre de Daniel Foucard se démarque des critiques manichéennes, où de la dénonciation des pratiques de l’autorité. Il met en perspective non pas des faits, mais la forme intentionnelle dominante des civils. Car je le repète : le civil "quand il voit la Police, il se sent aimé".
L’intentionnalité qui a incorporé la logique de la Loi, des lois et du droit (cela ne fait "aucune différence") est montrée selon la forme rhétorique du dialogue entre Josh Modena et les aspirants. Josh Modena, en tant qu’instructeur a réponse à tout, car tel qu’il l’énonce il a "toujours son explication" (p.144) et celle-ci provient du fait qu’il connaît sur le bout des ongles la loi (p.9-10). C’est donc bien la logique de cette rhétorique que Daniel Foucard montre comme inquiétante, et c’est bien de cela qu’il s’agit dans notre réalité ("L’art de la rhétorique, du discours, le sens de la répartie"). Car, ce n’est pas tant les individus qu’il s’agit de stigmatiser. Qu’un individu représentant de la loi, ou bien garant de la loi disparaisse, un autre le remplacera, et ceci indéfiniment. Les individus ne sont qu’épiphénomène, particuliers qui sont les supports d’une logique globale, d’une rhétorique de l’ordre plus profonde, enkystée dans la conscience elle-même. Ce qui ressort lorsque l’on lit les analyses des cas particuliers de Josh Modena, c’est à quel point, elles entrent en relation avec la rhétorique judiciaire actuelle, rhétorique qui peu à peu a pris en charge l’ensemble même de l’existence humaine, tout pouvant et devant apparaître selon les critères de la loi. Les cas particuliers décrits dans le livre ne sont pas importants, car l’essentiel c’est de comprendre qu’ils font partie du magma factuel établi selon la procédure de la loi.
Le sujet du livre pourrait ainsi être la rhétorique de la loi, du pouvoir et de son assimilation au niveau des consciences et delà la logique de domination politique établie sur le langage. Ce qui indique cette possible lecture du livre de Daniel Foucard, apparaît dans les notes (pp. 91, 118,177) qui accompagnent certaines phrases de Enzo (étudiant, 3ème au concours de recrutement). Ces notes sont en quelque sorte des formes de bilan de Daniel Foucard par rapport à ses propres engagements politiques, notamment marxiste. Il montre, à quel point derrière les volontés révolutionnaires, à chaque fois, se cache, un processus dialectique de domination établi sur des relations linguistiques qui établissent des positions hiérarchiques où va réapparaître l’inégalité du rapport dominant/dominé, volonté essentielle/volonté inessentielle.
En ce sens, pour agir, afin d’avoir une action politique, pour Enzo, il ne s’agit pas de reprendre la rhétorique révolutionnaire, ni non plus véritablement de s’identifier complètement à la Police (et il ne sait pas à quel point ce qu’il pense, entre en relation avec l’instructeur Josh Modena, ou encore, ce qu’explique Enzo est l’expression de ce que fait Josh Modena). Il s’agit de se saisir de la loi et de ce qu’elle permet, afin de pouvoir justement établir des relations d’équilibre social, qui permettent la circulation en quelque sorte de chaque civil. Ici, par ellipse, Daniel Foucard fait référence à Gilles Deleuze et au "one to one" de l’Abécédaire avec Claire Parnet (p.179), en rappelant que Deleuze, s’il n’avait pas été philosophe, il aurait fait du droit. Faire du droit non pas au sens de la transformation de soi, mais de la connaissance précise, et efficace des modalités relationnelles homologuées au niveau du champ social. Question : face à l’appareil d’Etat, y a-t-il une possible création de machine de guerre non-exogène ?
Ainsi, Civil, de Daniel Foucard, serait une mise en évidence d’une stratégie d’action politique et sociale, non pas fondée sur l’opposition, mais sur la possibilité d’une interaction avec les processus qui régissent la réalité des relations humaines, et qui tiennent à la Loi. Loin d’une dénonciation de la loi, comme certains voudraient le voir du fait de la fin, si on suit la relation Enzo/Josh Modena, il s’agit de la mise en question de la possibilité de la lutte, selon la description de la conscienc sociale telle qu’elle se définit.