Gérard Noiriel, Dire la vérité au pouvoir. Les intellectuels en question, Agone, automne 2010, 315 pages, 12 €, ISBN : 978-2-7489-0124-5.
D’emblée, le socio-historien Gérard Noiriel précise les raisons de la réédition d’un livre paru chez Fayard en 2005 sous le titre de Les Fils maudits de la République. L’avenir des intellectuels en France : prendre quelque distance critique envers le modèle d’intellectuel critique incarné par Pierre Bourdieu ; se recentrer sur une socio-histoire des rapports entre sphère savante et sphère politique ; enrichir la section consacrée aux récentes mutations du champ intellectuel.
Reprenant à son compte la définition de l’intellectuel comme celui qui, s’appuyant sur une compétence et une autorité acquises dans un domaine particulier de savoir, "dit la vérité au pouvoir au nom des opprimés", il prend la double précaution, d’une part, de préciser que ce terme "renvoie plus à une posture dans l’espace public qu’à un métier" (p. 10), et, d’autre part, de rappeler à la suite de Durkheim que l’intellectuel ne dispose nullement du "monopole de l’intelligence", ne faisant que l’employer "à étendre l’intelligence, c’est-à-dire à l’enrichir de connaissances, d’idées ou de sensations nouvelles" (p. 222).
Se concentrant sur les universitaires, qui durant tout le siècle dernier ont su tirer partie des mutations sociales (coupure entre champ intellectuel et champ politique qui s’autonomise, accroissement de la demande sociale liée au triomphe de la "démocratie du public"), Gérard Noiriel distingue trois types d’intellectuel, qu’il passe en revue dans autant de parties. D’abord "intellectuels de parti", les "intellectuels révolutionnaires" conquièrent leur indépendance (Nizan, Sartre), avant d’évoluer, vu les désillusions venues de l’est et la chute des dictatures communistes européennes, vers la position de l’"intellectuel critique" (Derrida, Rancière). Il analyse ensuite le statut de ceux qui évoluent dans cet espace intermédiaire entre pouvoir et savoir qu’est celui de l’expertise : les "intellectuels de gouvernement" sont réformistes et non révolutionnaires (de Seignobos et Siegfried aux noyaux constitués autour des revues Esprit et Le Débat). Quant à la catégorie de l’"intellectuel spécifique" (de Durkheim à Foucault et Bourdieu), en un temps qui voit dans les milieux universitaires mêmes l’avènement de la logique d’expertise, elle débouche sur une impasse. Ce qui n’empêche pas Gérard Noiriel d’intervenir ponctuellement dans l’espace public en prenant soin de ne participer au débat actuel qu’en fonction de sa sphère de compétence : la socio-histoire de l’immigration.
Resterait à écrire un chapitre entier sur "la disparition de la pensée critique dans l’enclos universitaire" (lire l’article de Pierre Rimbert dans Le Monde diplomatique de janvier dernier) et le remplacement des "intellectuels" par des collectifs d’artistes et personnages médiatiques. [Sur la "crise des intellectuels" : ici].
DU TONNERRE. Brillant comme article. BRILLANT !
Ne pensant pas que cette présentation – que j’espère claire et synthétique – du livre de Gérard Noiriel mérite une telle hyperbole, je suppose que vous voulez parler de l’un des articles en lien actif…